C’est l’annonce d’une sombre nouvelle qui a propulsé Coralie Lavergne vers la lumière et bouleversé le cours d’une vie toute tracée. Nous avons rencontré la jeune actrice, scénariste et réalisatrice dont le dernier court-métrage sur la quête d'identité nous a bouleversé.
Elle n’est ni timide ni sûr d’elle, ne vient pas des cités et n’est une fille de. Avec Coralie Lavergne, oubliez les storytellings racoleurs et faciles. Il faudra percer derrière ce joli visage d’où vient ce goût du jeu, de l’écriture et de la direction qui ne cherche en rien la facilité. La jeune femme qui s’est lancée sur le tard dans le 7ème art après s’être heurtée au mur de la maladie, s’est ensuite livrée à corps perdu à cette passion de toujours pour le cinéma en brûlant les étapes. Après Aïcha, son troisième court-métrage qui collectionne les récompenses, et alors qu’elle s’affaire à l’écriture d’un premier long-métrage et d’une web série, nous avons cherché à comprendre cette passion qui l’anime.
Quels sont les films et les réalisateurs(ices) qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?
Je suis très inspirée par des réalisateurs comme Kore Eda ou Ken Loach. Ils me font vibrer et, en parallèle, ils ont une dimension sociale et humaine très forte. J’aime le cinéma pour ça : l’émotion et les prises de conscience qu’il peut générer.
Comment décide-t-on d’abandonner une carrière bien lancée pour se risquer dans le cinéma quand on n’est pas du sérail ?
J’étais passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours. À 27 ans on m’a détecté une tumeur dans le sein – sujet de mon premier court-métrage – et j’ai eu un vrai déclic : cesser de remettre à demain les choses qui m’animent sincèrement.
Au fond, ça faisait des années que j’avais peur de me lancer dans ce que j’aimais follement, et je procrastinais. Il m’a fallu ce déclic pour quitter mon travail, mon confort et écrire un premier court-métrage.
Après je savais que sans réseau et sans formation, il fallait que je travaille deux fois plus… mais ça vaut le coup !
Actrice, réalisatrice, scénariste : sur quel poste avez-vous pris le plus de plaisir jusqu’à maintenant ?
J’aime profondément jouer. Mais choisir les sujets que j’ai envie d’explorer et les gens avec qui je travaille me tient vraiment à cœur. Quand on sçénarise et qu’on réalise, on a cette chance-là : rassembler des gens dont on aime le travail autour d’histoires qui nous sont importantes. Et en ce moment c’est ce que j’aime le plus.
La famille, les racines, l’intégration : pourquoi ces thèmes vous tiennent-ils aussi à cœur ?
Parce qu’ils me touchent de très près ! AÏCHA était le prénom de ma mère. Prénom qu’elle a cessé de porter à l’âge de 14 ans quand elle est arrivée en France. Puis elle a vraiment tenté de refouler ses origines algériennes : je ne l’ai jamais entendu parler de son enfance, elle n’a jamais parlé arabe devant nous. Comme pour beaucoup de gens de ma génération, ce silence ça n’a fait qu’exacerber mon désir d’aller à la rencontre de cette partie-là de moi.
Ma génération est celle qui fouille, qui creuse, qui réclame des vérités et des ouvertures de dialogues. C’est elle qui regarde (enfin !) ses origines multiples comme une fierté et une force… C’est une démarche que j’admire. C’est courageux et c’est nécessaire.
Au fur et à mesure de vos courts jusqu’au dernier (Aïcha), votre caméra s’est rapprochée au plus près des protagonistes ? Une façon de montrer que vous n’avez plus peur de montrer l’intime ?
C’est pire que ça ! (Rires) J’ai de plus en plus envie de plonger radicalement dans l’intime. Bizarrement je pense que c’est en dévoilant les histoires les plus personnelles qu’on peut avoir accès à une résonance collective. Donc que c’est dévoilant l’intimité d’un personnage, qu’on peut accéder à l’histoire collective.
La photographie est très belle. Quelle furent les recommandations données à votre chef op’ ?
On a beaucoup travaillé en amont avec Vadim Alsayed (le chef op). Je voulais qu’on soit très proche du personnage principal à l’image. Donc on a décidé de beaucoup filmer à l’épaule, pour être à hauteur d’enfant et systématiquement dans son mouvement.
J’avais envie qu’on ait une sensation de foisonnement, et aussi qu’on ressente les ambiances solaires et chaudes de Marseille.
On s’est beaucoup servi de références (des plans précis de certains films ou des photographies) et surtout, tous les chefs de poste (chef déco, costumière et chef op) ont collaboré ensemble en amont.
Vous représentez un Marseille qui semble intemporel comme Robert Guédigian. Est-ce la volonté de s’échapper de l’actualité ?
Complètement ! On a voulu jouer sur les frontières de la temporalité. Parce que ce sujet là (l’acceptation de nos identités multiples) était une bataille il y a 20 ans. Il l’est encore aujourd’hui. Et il risque de l’être (malheureusement) pour un petit bout de temps…
Après trois Courts, vous travaillez actuellement sur votre premier Long (À bord la vie). Quels sont les écueils à éviter ou surmonter quand on change de division ?
Pour le moment je suis au stade de l’écriture. Ce que je constate, c’est encore une fois que bien s’entourer est fondamental… je vois à quel point ce sont des projets de longue haleine. Alors il faut accepter d’y mettre beaucoup d’énergie et d’en faire une priorité. J’avais lu que pour aller au bout d’un développement d’un premier long-métrage, il fallait que le sujet soit de l’ordre de la nécessité pour l’auteur. Aujourd’hui je comprends pourquoi ! (Rires)
Où en est le projet de la série « Bagnardes ? »
Je développe ce projet avec 3 co-scénaristes en or : Laurent Turner, Pascal Dupont et Julia Cooperman (qui travaille majoritairement aux US). Nous avons terminé le pilote, bouclons la bible… La prochaine étape est la recherche d’un diffuseur.
Je croise les doigts parce que le sujet des bagnes de femmes est passionnant. Encore un aspect peu connu de notre histoire sur lequel il faut lever le voile.
Quelles sont les adresses (commerces) fétiches à Marseille et les spots où vous aimez vous ressourcer ?
Mon lieu de prédilection, c’est la Côte bleue (on a tourné Frère et sœur à la Vesse d’ailleurs). Moins prisée que le Parc national des Calanques mais tout aussi somptueuse. En termes de commerces, je suis fan de l’épicerie Sistaou dans le Camas. Ouverte par deux sœurs qui ont une sélection de produits incroyables. Et la partie traiteur est un délice. Puis pour une après-midi détente, j’adore La Boissonnerie. Le meilleur plan avant d’aller s’étaler sur les rochers des Goudes.
Aicha est à voir sur Arte le 8 septembre à 0h16 puis en replay sur arte tv.