Quoi ? : Apicultrice qui fabrique du miel et des bougies en cire
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Venue de Philadelphie, Jamie Lozoff a installé ses ruches à Marseille et alentours après avoir bien baroudé sur le vieux continent. Aujourd'hui, avec ses collègues les abeilles, elle fabrique du miel et des bougies sous la marque Faire la bees... Mais a surtout à cœur de partager sa passion pour le monde fascinant de l'apiculture !

Pull jaune pétant et santiags au pieds, c’est enfumoir à la main et sourire aux lèvres que Jamie Lozoff nous accueille au Grain de la Vallée en ce début de printemps. Aujourd’hui est un grand jour, parce qu’elle va revoir ses petites protégées : elle va enfin rouvrir ses ruches après la longue pause hivernale, et les préparer à un printemps qu’elle espère plein de miel. Pour cette passionnée des abeilles, c’est comme retrouver des copines qui lui avaient manqué, et ressentir pour la onzième saison de sa vie d’apicultrice la joie de voir tout ce petit monde bourdonner. Jamie vit pour ça, et c’est à la fois très simple et très beau, de la voir si fascinée par ces petites bêtes qui lui donnent, semble-t-il, autant de miel que de bonheur.

Tu as découvert l’apiculture à 17 ans, aux Etats-Unis. Tu peux nous raconter ?

Au lycée, pour un cours de bio, on avait fait une visite chez un apiculteur. Comme j’ai grandi dans une ville, avec peu de contacts avec la nature, je pensais que j’allais avoir peur des abeilles… Mais dès que l’apiculteur a ouvert la ruche, j’ai été hyper impressionnée. Il faisait ça sans porter de combinaison ni de gants, et je me disais : « Wow, qu’est ce que c’est que ce cowboy qui communique tellement bien avec ces insectes qui sont tellement intelligents ? » Alors quand il a proposé, j’ai pris un cadre de ruche dans les mains. Et là, j’ai vu les larves, le pollen, le miel… Toute une vie qui se passait, et nous on avait le droit de les regarder, ça me paraissait être un luxe. C’était un nouveau monde ! A ce moment là, j’ai décidé de faire mon projet de fin d’études [comme le TPE en France, ndlr] avec cet apiculteur.

Et c’est ce projet qui a lancé ta passion pour l’apiculture…

C’était un projet sur le Varroa, un parasite qui s’attaque aux abeilles. Donc dès le départ, l’apiculture, c’était pour moi un contact scientifique pour le bien-être des abeilles. C’est avec ce premier apiculteur que j’ai appris comment fonctionnaient les abeilles et au passage, comment récolter du miel. Après ça, j’ai eu envie de continuer, alors avec un ami on a monté un club d’apiculture au lycée. Dans notre première ruche, on a nommé la reine Dolly en référence à Dolly Parton, parce qu’elle venait du sud, et on a nommé le miel Sweet Dolly… Onze ans plus tard, le club d’apiculture existe toujours !

C’est pour ça que tu as voulu venir en France, pour le miel ?

C’est vrai que dans ma famille, et aux Etats-Unis en général, il n’y a pas une culture du miel comme en France. Aux Etats-Unis, c’est plutôt quelque chose que tu mets dans ton thé, ou à la rigueur sur des pancakes…

Pourtant, au départ, je ne venais pas seulement pour le miel. C’était surtout parce que j’avais un méga crush sur le pays, j’avais une vision fantasmée par le cinéma, la musique…

Mais tu en as profité pour faire du miel !

Oui, quand j’ai atterri en France, je suis allée tout de suite dans les Cévennes à Saint-Jean-du-Gard, pour faire du wwoofing chez une apicultrice. C’était en septembre, à la fin de la saison. Du coup je l’ai aidée à mettre le miel en pot, on a fait des marchés, on a traité des ruches contre les parasites, on a fait du maraichage… Je devais rester deux semaines et finalement je suis restée beaucoup plus, on s’est trop bien entendues !

Par la suite tu as continué à découvrir l’apiculture, notamment par le wwoofing, partout en France et en Europe… Et tu as même eu des ruches dans le centre-ville de Paris !

Oui ! Il y a une association, la Société centrale d’apiculture, qui a des ruches dans le jardin du Luxembourg. Je les avais contactés pour faire un stage, et je pense qu’ils n’avaient jamais eu de demande comme ça ! J’étais prête à tout faire, je voulais juste avoir le droit de venir voir, tous les jours… Et c’est dans cette association que j’ai rencontré Marie-Laure, bénévole là-bas qui est devenue comme un mentor !

Et finalement, tu as décidé de rester en France ?

Au départ, je devais juste voyager un peu avant de commencer des études aux Etats-Unis… Mais une fois en Europe, je voulais rester. Après un semestre en échange à Berlin, j’ai décidé de m’installer en France, et j’ai fait les démarches pour entrer à la fac de Sciences de Paris, pour être chercheuse sur les abeilles. J’avais envie d’être à Paris… Peut-être parce que je ne savais pas encore que Marseille existait !

A l’époque, tu voulais déjà être apicultrice ?

Pas vraiment. J’avais juste envie d’explorer plus profondément ma passion pour l’apiculture… Je me disais que ça avait l’air d’être un truc fort pour moi, et j’avais envie d’écouter cette intuition. Et j’avais aussi envie d’être en France : le fait que la France ait une grande culture de miel et une tradition d’apiculture, ça tombait bien, je pouvais faire les deux !

Qu’est ce qui fait que tu es passée de la recherche à l’apiculture ?

Je pense que je voulais être chercheuse juste parce qu’on me disait « tu es intelligente, en étant chercheuse, tu auras les mains dans les abeilles mais ce sera plus prestigieux qu’apicultrice »… Je me suis laissée influencer. Le problème c’est que je n’avais pas spécialement de facilités en maths ou sciences. Et puis la fac en France, il n’y a pas vraiment d’accompagnement, je trouvais ça dur ! Mais parallèlement, c’est à cette époque que j’ai commencé à donner des cours d’apiculture pour les enfants, dans un rucher pédagogique dans le 15e. Tous les jours, on recevait plusieurs classes. J’adorais faire ça. C’est très important pour moi d’avoir un aspect pédagogique dans ma pratique apicole.

Pourquoi tu aimes tant la transmission ?

Pour moi, tomber amoureuse de l’apiculture, c’était le hasard total. Mais heureusement que j’ai eu cette rencontre ! Alors je me dis qu’il faut absolument faire découvrir ça aux enfants, leur permettre de toucher le miel, et de comprendre qu’ils peuvent faire ça en travaillant avec des abeilles et leurs amis… Ce n’est pas grave s’ils ne se rappellent pas en détail de ce que je leur ai appris pendant un atelier, comment ça marche ; tant qu’ils ont passé un bon moment et mangé 1000 kilos de miel, c’est une réussite, car ils ont un souvenir.

Avoir des bons souvenirs des abeilles c’est cool, car plein d’enfants se font piquer et en ont peur… C’est dommage !

Jusqu’en 2019 tu étais en Champagne… Pourquoi tu as migré à Marseille ?

J’ai découvert Marseille il y a quelques années, grâce à une amie. Dès le début j’ai trouvé que c’était un endroit assez dingue pour vivre. D’abord parce que je n’ai pas grandi à côté d’une mer, avec ce rapport à l’eau. Mais aussi parce que c’est une ville où dès que tu te promènes un peu, tu es tout de suite conscient de la nature autour. Tu vas aux Cinq Avenues, tu regardes le tram, et tu vois les collines au loin… Je trouvais ça beau et rassurant de ne pas être dans une ville qui t’oppresse avec des maxi bâtiments partout.

Alors tu t’y es installée ?

Au départ, je comptais juste passer l’hiver à Marseille, car pendant l’hiver il n’y a pas trop de travail dans les ruches. Je suis venue à l’hiver 2019, mais j’ai trouvé ça tellement chouette que je suis restée ! Et maintenant, je suis à Rognes. J’ai déménagé pour avoir un peu plus de place, notamment pour stocker mon matériel.

Maintenant, où sont tes ruches ?

Actuellement, j’ai trois emplacements : Le Grain de la Vallée, dans le 11e arrondissement. J’ai aussi des ruches à Rognes, dans un environnement campagnard et un peu agricole avec des vignes et quelques cultures. Et j’ai aussi un emplacement à Jouques, dans une forêt Natura 2000, protégée. Ce terrain m’a été prêté par une dame, et c’est juste trop bien, les abeilles s’éclatent là bas, le miel est magnifique ! Et les voisins sont tous adorables, c’est comme le Grain de la vallée : c’est une petite famille.

Du coup, ton miel n’est pas toujours le même ?

Les miels changent selon où tu mets les ruches : il y a des fleurs différentes, mais aussi des conditions météo différentes. Ça change aussi en fonction des années : même si on ne bouge pas les ruches, les miels changent parce que selon la météo de l’année, certains arbres fleurissent et d’autres disparaissent. Je trouve ça passionnant. On ne le dit pas souvent mais le miel, c’est comme le vin, c’est une traduction de la nature que tu peux goûter, c’est le reflet d’un terroir. Par exemple on peut bouger nos ruches pour attraper des floraisons spécifiques comme le miel de lavande, ou de châtaignier… Tu bouges les ruches et pour les abeilles, c’est comme un Bed & Breakfast !

Comment on ressent les saisons quand on travaille avec des abeilles ?

Vers septembre, en fin de saison, c’est la clôture des ruches. On les enferme pour l’hiver, donc tu sais que tu ne vas pas revoir les abeilles tout de suite. Tu espères que tu as bien préparé les colonies pour passer l’hiver, tu espères qu’elles vont survivre, qu’elles ont assez à manger. Donc oui, il y a un peu d’inquiétude… Mais aussi de la mélancolie, de la nostalgie.

La saison apicole, en printemps et en été ce sont des moments de pure joie. J’amène des amis, on fait ce qu’on doit faire dans les ruches, après on pique nique avec un peu de miel que j’ai pris des ruches, pour goûter… Je kiffe !

Alors forcément en automne il y a une petite tristesse de savoir qu’il faut attendre quelques mois avant de retrouver ces moments-là…

Le nom de ta marque, Faire la bees, fait référence à ce genre de moments… Tu peux nous expliquer ?

Au départ, je ne voulais pas forcément créer une marque. A un moment donné, j’ai ouvert un compte Instagram pour mettre mes photos d’abeilles, car j’en avais un à mon nom mais je saoûlais tout le monde avec mes photos d’abeilles ! Sur le coup, pour la blague, je l’ai appelé Faire la bees [« bees » veut dire abeilles en anglais, et se prononce comme « bise », ndlr]. C’était un jeu de mots mais finalement ça va bien avec l’apiculture, tu fais la bise pour rencontrer des gens, et quand je fais de l’apiculture c’est un peu la même chose, j’ai envie de connecter des gens et de leur faire rencontrer les abeilles…

Quel genre de monde tu espères pour tes abeilles ?

Idéalement, il faudrait qu’on arrête d’utiliser des produits, pour les abeilles comme pour les humains. Les deux vont ensemble. Pour moi, tout notre système d’agriculture pose problème. Être consommateur responsable, c’est bien, mais ce n’est pas qu’à nous de faire tous les efforts. Tout le monde n’a pas les moyens de se faire un repas bio… Il faut qu’on puisse rentrer dans un marché ou un super marché et avoir confiance dans les produits qui sont là. J’essaie de lutter pour ça dans mon coin, je fais ce que je peux… Mais c’est un problème immense.

Le miel de Jamie Lozoff est en vente sur son site et dans quelques épiceries à Marseille, dont Le Grain de la Vallée

Propos recueillis par Julie Desbiolles
Photos : © Julie Desbiolles et © Faire la 
bees