Quoi ? : Explorateur à vélo
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Pour Cédric Tassan, le vélo est une passion mais surtout un prétexte aux rencontres. Grâce ce mode de déplacement lent et non-polluant, il prend les temps de confronter les idées que l’on se fait de certains pays à la réalité du terrain. Il en ramène des images qui bousculent bien souvent les préjugés.

Créateur des éditions VTOPO (des guides de parcours à vélo) et ambassadeur VTT pour la Région SUD, Cédric Tassan a aussi plus de vingt pays traversés en vélo à son actif. Pourtant il ne cherche pas à collectionner le plus de tampons possibles sur son passeport mais bien une réalité que seul le terrain peut nous offrir.  Après avoir sillonné la Provence et la majorité des décors alpins de l’arrière-pays varois et niçois, l’homme de Saint-Cyr-sur-Mer s’est lancé en 2021 dans des aventures en solitaire à vélo dans des endroits isolés du monde. Il a commencé son cycle par les steppes, les villes et les déserts d’Asie centrale pour ouvrir son esprit à d’autres cultures et faire disparaître les apriori et les préjugés qu’il a pu emmagasiner à travers des médias peu regardants. L’aventure en solo est aussi pour lui un voyage intérieur où il peut « sillonner ses vallées intérieures et ses propres lignes de crêtes ». Nous l’avons rencontré lors d’un talk (Vaste Programme) où il partageait ses parcours dans les Pays en « stan » qu’il a sillonnés ces dernières années (Ouzbékistan, Kazakhstan Kirghizistan, Tadjikistan). Retour d’expériences…

Comment franchit-on le pas du fantasme sur une belle photo à pédaler dans une steppe aride ?

En somme, la démarche s’avère relativement aisée : il convient simplement d’acquérir un billet d’avion. Néanmoins, dans la réalité, la complexité de la situation s’accroît en fonction des objectifs que l’on nourrit pour son séjour. L’élaboration de ce projet, consistant à traverser en solitaire le désert du Mangystau au Kazakhstan, a requis un investissement temporel considérable. Lorsque, au cours du printemps 2019, je découvris cette première photographie de Micheline Pelletier prise à la villa Tamaris de la Seyne-sur-Mer, une impulsion de recherche m’envahit instantanément. À l’époque, il est vrai, les informations sur ce lieu extraordinaire étaient plutôt rares. Progressivement, j’ai pu collecter quelques contacts locaux, amorçant ainsi la gestation de l’idée d’une aventure. Entre-temps, la pandémie de Covid est survenue, mettant brusquement un terme à mon élan. Ce n’est qu’au printemps 2022 que je me suis résolument lancé dans l’entreprise, bravant les avis défavorables des autochtones qui me déconseillaient vivement de m’y aventurer en solitaire.

Pourquoi ces pays d’Asie centrale sont-ils si méconnus ?

J’entrevois divers motifs, parmi lesquels deux prédominent à mes yeux :

La géographie constitue le premier aspect. Envisage le nombre considérable de personnes effectuant le trajet entre Paris et Marseille, se rendant ainsi dans l’une ou l’autre de ces cités. Que connaissent-elles réellement de la topographie intermédiaire ? Combien parmi elles font halte à des villes telles que Chalon-sur-Saône ou Auxerre ? Fort peu, et c’est assurément une lacune. Il en va de même pour l’Asie centrale, où les principaux itinéraires ne font que survoler ces pays sans jamais s’y attarder. Depuis l’Europe, la tendance est de se diriger vers l’Asie du Sud-Est, la Chine et d’autres territoires situés dans la partie orientale du monde, sans véritablement s’imaginer ce qui se trouve au cœur de ce vaste territoire.

Les « stan », ces pays redoutés, représentent la deuxième raison majeure. Issus de l’ex-URSS, ces États portant le suffixe « stan » suscitent une certaine méfiance. En tête de liste, l’Afghanistan, suivi de près par le Pakistan, sont des nations qui font l’objet de récits alarmants.

Naturellement, les autres pays qui suivent partagent cette même réputation. Toutefois, une fois que l’on prend conscience que ce suffixe signifie « pays » ou « nation » en persan, et que, par exemple, le Kazakhstan se traduit par le pays des Kazakhs, le Tadjikistan par le pays des Tadjiks, la tension retombe d’un cran.

Vous dites avoir eu le sentiment parfois d’évoluer dans des toiles de maître. Quels sont les décors qui vous ont le plus fasciné ?

L’extraordinaire beauté de l’Asie centrale me laisse sans voix. Les paysages se présentent à mes yeux comme de véritables œuvres d’art, d’immenses tableaux où les couleurs et les formes s’harmonisent à la perfection. J’apprécie particulièrement les espaces ouverts, où le regard peut s’étendre sur des kilomètres. C’est une sensation profonde de liberté qui m’envahit. Les contrastes saisissants m’attirent tout particulièrement : que ce soient les imposantes formations géologiques dans le désert du Mangystau ou les gigantesques glaciers du Pamir, la nature a accompli un travail magistral !

Quels sont les préjugés battus en brèche par la réalité du terrain ?

L’hostilité environnante ! Certes, le milieu se révèle extrêmement exigeant, avec des régions souvent très reculées, d’une froideur intense, d’une chaleur brûlante, ou d’une aridité extrême. Cela implique d’accepter l’idée que certaines zones sont particulièrement inhospitalières : absence de secours, absence de moyens de communication, absence de voies d’accès…

« L’hostilité inhérente au terrain contraste de manière frappante avec la bienveillance des habitants. Ces derniers se révèlent tout simplement exceptionnels. Peu importe le pays ou l’ethnie, j’ai toujours été accueilli de manière remarquable. À mes yeux, c’est là le plus grand préjugé qui s’effondre. »

Avez-vous été surpris par l‘accueil des populations ?

Absolument ! Lors de mon premier voyage en Asie centrale en 2021, ma destination était le Kirghizistan. J’étais initialement sur la réserve avant d’arriver sur place. Non pas par crainte, mais davantage par méconnaissance du pays et de la région. Très rapidement, j’ai réalisé que l’hospitalité constituait une composante essentielle de leurs traditions et de leur mode de vie.

Lorsque l’on croise quelqu’un dans un lieu isolé, il est assuré que l’on se retrouvera au moins avec une tasse de thé à la main ! Et, bien souvent, dans de nombreux cas, on est invité à partager un repas, voire à passer la nuit !

Vous êtes-vous parfois senti en danger ?

Assurément, l’été dernier au Tadjikistan, je m’attendais déjà à affronter certaines difficultés lors de mon exploration du Pamir. Cependant, de la première à la dernière étape, j’ai été confronté à des épreuves bien au-delà de mes prévisions. Anticipant des traversées de rivières ardues, considérées comme le plus grand danger en Asie centrale, j’avais consacré tout l’hiver à m’entraîner à me baigner en mer, et ce, jusqu’à 30 minutes, face à des conditions météorologiques rigoureuses : froid intense le matin, tempêtes de Mistral, souvent de nuit… Mon objectif était de m’habituer à la force des éléments, en laissant les éléments me submerger sans y prêter trop d’attention. Une fois arrivé au Pamir, j’ai rencontré d’énormes difficultés lors de certaines traversées de rivières.

À un moment, le courant était si puissant qu’une rivière a failli m’emporter. J’ai dû rester près de 2 heures dans l’eau glacée pour trouver le passage adéquat…

Et puis, il y avait le terrain : aucun sentier, des rochers à perte de vue, à une altitude dépassant les 4000 mètres, avec un vélo chargé de 30 kg… Une épreuve infernale pour progresser dans cet environnement hostile. Pendant des heures, j’avançais à une vitesse d’à peine 1 km/h. Le périple semblait interminable, et à plusieurs reprises, je me suis dit qu’il était grand temps que cette aventure se conclue favorablement.

A quoi pense-t-on au milieu de nulle part après 10 heures de vélo ?

Souvent, j’aime laisser vagabonder mon esprit, laissant libre cours à ses divagations pour occuper le temps qui s’étire. Je le vois comme une planche de bande dessinée, où le dessinateur passe d’une bulle à une autre en écrivant « 5 heures plus tard… ».

Cette ellipse temporelle, pratique dans les bandes dessinées pour maintenir le lecteur en haleine, j’essaie également de l’appliquer sur le terrain.
De temps à autre, je m’adresse à moi-même, je conçois des plans, j’imagine ce que je ferai en rentrant, comment je vais réaliser mon film… Rien que le simple acte de visualiser ces projets contribue énormément à occuper mon esprit. C’est une façon de trouver du réconfort et de rester engagé mentalement, même dans les moments plus solitaires.

Chaque voyage demande-t-il beaucoup de préparation ?

Cela nécessite toujours plusieurs mois de préparation, bien que cela ne monopolise pas tout mon temps, évidemment. Il faut d’abord se concentrer sur un pays, puis sur une région spécifique. En parallèle, il faut concevoir l’histoire de cette exploration, élaborer le scénario du film à créer. Vient ensuite le moment de tracer l’itinéraire, qui doit être en cohérence avec mes objectifs et le temps que j’ai alloué sur place. Je recherche des contacts, entretiens des discussions avec eux. J’ai toujours un « fixeur », comme on dit dans la profession, une personne chargée de m’amener depuis la ville principale jusqu’à mon lieu d’exploration, puis de me ramener. De cette personne, je tire de nombreuses informations : la langue, les traditions, les choses à faire, à ne pas faire…

Cependant, il arrive souvent que ces locaux ne connaissent pas vraiment les endroits où je m’apprête à aller. Ainsi, en ce qui concerne la géographie, j’obtiens assez peu d’informations de leur part.

L’anecdote la plus cocasse ?

J’en ai plusieurs, mais j’apprécie particulièrement la séquence avec Mahmut dans mon film « ZARMAS » que je rencontre le long d’une piste. Assis devant sa maison, une carabine à la main, Mahmut, un solide ouzbek m’invite à déjeuner. C’est une belle histoire humaine, un lien qui persiste aujourd’hui puisque nous nous écrivons de temps en temps. En som

me, je suis invité, nous partageons un repas et, à un moment donné, Mahmut me pose une question en russe. Pensant qu’il me demande où je vais, en lui répondant, je réalise que je suis à côté de la plaque.

En réalité, Mahmut veut connaître le club de football proche de chez moi. Résidant entre Marseille et Toulon, j’évoque l’OM. À partir de là, Mahmut entame une petite litanie sur la géographie française : Nantes, Lille, Paris… En résumé, Mahmut connaît bien la France grâce au football !

N’êtes-vous pas tenté parfois de privilégier la belle image pour vos films au vécu ?

Étant donné que je voyage en solitaire et que je souhaite respecter cette configuration, je n’ai pas de caméraman ou de photographe à mes côtés. Ainsi, dès le commencement de mon aventure, je renonce à la possibilité de capturer les plus belles images au profit de l’authenticité de l’expérience vécue. Le film à venir reste le principal moteur mais la seule exception à cette règle survient lorsque je me trouve en difficulté. L’envie de me filmer n’est pas vraiment présente. Non pas tant pour des raisons d’ego, mais principalement pour des questions de sécurité et de concentration.

Votre prochain voyage sera en Afghanistan. Est-ce pour vous le graal pour ses paysages ou l’adrénaline du risque d’un pays très fermé ?

Cela fait une éternité que je rêve d’explorer les mystères de ce pays. Mon enthousiasme n’est pas particulièrement alimenté par la notion de danger. Ce n’est pas quelque chose qui me guide. En revanche, j’éprouve une réelle volonté d’élaborer ma propre perception d’un territoire. En moi réside l’âme d’un explorateur, même si de nos jours, l’exploration semble presque obsolète, tant chaque parcelle de terre a déjà été arpentée et documentée.

Propos recueillis par Éric Foucher / Photo Cédric Tassan