C’est un métier qui avait bien failli disparaître et qui connaît un retour en grâce salutaire pour l’harmonie et la beauté de nos centres-villes. Hélène Valverde en est devenue une des illustres représentante à Marseille.
Elle et quelques autres peintres en lettres contribuent à embellir nos centre villes avec des devantures qui tapent à l’œil. Non pas par leurs slogans criards mais par leur esthétique léchée. Armée de son escabeau et de sa fameuse baguette qui l’aide à avoir un trait sûr, elle transfigure de banales façades de commerces en pépites visuelles, s’adaptant à chaque fois aux besoins du client et au contexte du quartier : technique du vernis craquelé patiné, effet 3D, dorures à la feuille d’or. Quand les techniques anciennes et le trait à la main redeviennent plus désirables qu’un froid fichier vectoriel imprimé sur un adhésif ou un plexi, ce sont des vitrines entière qui redeviennent désirables et des rues colorées pour les passants et les flâneurs. Diplômée d’un CAP de peintre en lettres en 1989 à Nîmes, son élan créatif avait pourtant été stoppé par la conjoncture quand le métier a menacé de disparaître. Elle change d’orientation professionnelle mais continue à peindre. Il y a quelques années, elle profite d’un renaissance inespérée de cet art noble pour reprendre ses pinceaux et s’illustre sur de très nombreux commerces de Marseille et alentours (Bec Bunzen, Margène, Mon Poulet, Zielanka, Cultures obliques, Mazette, la Bonne Mer, la Velada, Maison Carne).
Comment expliquez-vous ce renouveau pour les peintres en lettres ?
La peinture en lettres a laissé place à la publicité adhésive et aux enseignes imprimées début 90’. C’était la modernité, rapide, économique, des lettres parfaitement tracées. Trois décennies plus tard, le monde a changé et les mentalités évoluent. Nous sommes en recherche d’humanité, de beauté et d’harmonie.
On se rend compte que dans ce monde de plastique, les commerces ont perdu toute personnalité, tout se ressemble et il est difficile pour les commerçants de se différencier.
Cet amas d’informations visuelles crée un désordre ambiant, un climat de stress. Aujourd’hui nous nous soucions davantage de notre santé, de notre bien-être, les commerçants sont de plus en plus nombreux à vouloir une devanture en cohérence avec leurs idéaux, c’est une démarche globale et le travail à la main, l’artisanat en fait partie.
Qu’apporte selon vous votre travail aux façades des commerces ?
La devanture d’une boutique, d’un restaurant, c’est la première image, la carte de visite du commerce. Il faut séduire et faire passer un message clair et attractif. L’enseigne traditionnelle peinte à la main apporte une touche chaleureuse et accueillante, elle restitue l’âme d’un lieu. C’est aussi un gage de qualité et de sensibilité, c’est le détail qui fait la différence. Un commerçant qui fait cette démarche est un commerçant soucieux de son image, il veut transcrire l’amour de son métier et la qualité de son travail. Je suis là pour les aider à faire cela.
Quand un client me contacte pour un projet, je ne m’intéresse pas uniquement à la façade et aux mots à inscrire. Je vais à sa rencontre, j’ai besoin de m’imprégner de l’esprit du lieu et de savoir quel message il veut faire passer.
J’apporte mon conseil et mon analyse, mais le secret de la réussite repose sur un travail d’équipe avec mon client, ces échanges humains qui font que l’on va construire ensemble quelque chose de beau, de personnalisé et d’authentique !
Bois, verre, ciment, carrelage, fer ? Quels ont les supports les plus compliqué à travailler ?
Chaque support à sa particularité : sur un support maçonné, s’il y a des irrégularités ou du crépis, la réalisation va être un peu plus longue, il faut adapter la viscosité de la peinture, les pinceaux et la technique. De plus, l’erreur n’est souvent pas permise ! Mais sur ce support, la peinture en lettres est très appropriée, que ce soit du fait de ne pas avoir de contrainte de taille ou pour des raisons de règlementations d’urbanisme.
Le support bois est le plus souvent utilisé, il sera bien sûr préparé et peint suivant l’aspect final recherché. Il permet de réaliser plus de techniques, peinture acrylique, glycérophtalique et feuille d’or. On peut obtenir des finitions vieillies ou tendues, mattes, satinées ou laquées. Cela fait de lui le support le plus commun et le plus facile à travailler.
Le carrelage et le verre sont des supports très lisses qui demandent une plus grande concentration lors de l’exécution. Dans un souci de bonne adhérence, il faudra veiller à exécuter un scrupuleux nettoyage du support et dans certains cas à l’ajout d’un additif dans la peinture qui renforcera l’accroche et la dureté.
Le verre permet de travailler à la feuille d’or et de réaliser des lettrages extraordinaires, jouant sur des rendus miroirs, mats ou texturés.
Hormis la qualité du support, la complexité de réalisation peut résider dans sa forme. Je pense là à tout ce qui est customisation, de casques, de motos, de véhicules.
La peinture en lettres s’étend bien au-delà des enseignes, ça ajoute un côté très fun à ce métier passionnant !
Quelles sont les techniques que vous affectionnez le plus dans votre travail ?
J’adore travailler la feuille d’or. C’est complexe, exigeant mais tellement gratifiant quand on voit le résultat ! Outre ma satisfaction personnelle, ce matériau apporte noblesse et chic, il signe la qualité des prestations du commerce concerné. J’aime aussi avoir l’opportunité de construire un projet dans sa totalité, dessiner mes lettres à la main, créer un design et le mettre en peinture.
Combien de temps en moyenne prend une vitrine et quelles en sont les étapes ?
La réalisation d’un lettrage à la feuille d’or sur une vitrine se fait sur deux à plusieurs jours suivant le design. La complexité des lettrages et les peintures ou techniques utilisées demandent un temps de séchage que l’on doit respecter si l’on veut un résultat impeccable. Il faut ensuite protéger le travail par un vernis après complet séchage. Je travaille avec de la feuille d’or véritable, c’est un matériau fragile et couteux qu’il faut manipuler avec précaution. De façon générale il n’y a pas de secret, il faut du temps pour faire de belles choses !
Avez-vous déjà refusé la commande d’un client ?
Certes tous les projets n’aboutissent pas. Ceci pour diverses raisons, problème de budget, timing trop court ou autre… Dans mes échanges avec le client, j’essaie toujours d’expliquer mon travail, le temps et la complexité de réalisation, l’importance de mûrir le projet pour une communication efficace. Ma clientèle étant essentiellement des restaurateurs ou des commerçants, certains d’entre eux ont d’autres préoccupations qui passent avant leur enseigne. Ils me contactent souvent peu de temps avant l’ouverture et de ce fait, le délai d’intervention est souvent court. Mais je m’efforce toujours à trouver une solution pour intégrer le projet à mon planning et ne pas avoir à refuser.
Ne craignez-vous pas parfois une saturation des codes néo-rétro qui sont revenus en force ?
Non, parce que la technique est ancienne mais le style s’adapte. La démarche de recourir à un savoir-faire artisanal est une tendance qui je le crois va s’affirmer dans les années à venir. Cette insécurité que nous ressentons à la vue de notre avenir, celui de la planète et de l’humanité nous pousse à nous raccrocher à des valeurs plus humaines. La peinture en lettres traditionnelle, tout comme d’autres métiers manuels artisanaux ou les métiers d’art, sont une richesse de savoir-faire qui véhiculent une émotion humaine, impalpable et irremplaçable.
J’ai reçu récemment un message qui disait « Merci de rendre nos rues si belles ! » Après ça, je ne peux que croire au bel avenir de la lettre peinte à la main !
Quelle réalisation rêveriez-vous de faire ?
Vivre aujourd’hui de ce métier dont j’ai obtenu le CAP en 1990 est déjà un rêve devenu réalité ! Je ne rêve pas d’une réalisation en particulier, mais j’adorerai travailler dans l’industrie du cinéma. Réaliser des enseignes et lettrages pour des décors d’époque, c’est comme un voyage dans le temps !
Hormis les réalisations, je souhaite transmettre, il est à présent très difficile de se former au métier de Peintre en Lettres en France, le savoir se perd et la demande augmente. Alors est-ce si fou de rêver à la création d’un centre de formation dédié à la Peinture en Lettres à Marseille ?
Propos recueillis par Eric Foucher (Photos LN Graph)