Saisons après saisons, la Friche de l’Escalette enrichit son parc, ses bungalows ainsi que ses salles à ciel ouvert d’œuvres sensibles qui dialoguent avec la roche et la pinède. Cette année, ce sont les "Cabanes perchées" de Marjolaine Dégremont, les "Formes molles" de Baptiste et Jaïna, la "Tour des vents" de Guy Bareff ainsi que la "Bête endormie" de Lilian Daubisse qui s’invitent sous le soleil, exactement.
En parodiant un célèbre poète on pourrait dire de la Friche de l’Escalette qu’elle est toujours la même et sans cesse renouvelée. Ce qui explique sans doute le plaisir éprouvé lorsqu’on y revient chaque année, comme dans une maison de vacances dans laquelle on retrouverait des objets familiers et d’autres laissés par des hôtes invités.
Avec l’excitation d’enfants pas sages, on part en plein cagnard sur ses pentes raides à la découverte de nouveaux trésors, en retrouvant avec bonheur sur le chemin des installations familières que l’on redécouvre sous un nouveau jour.
Parmi ces installations devenues permanentes, on retrouve les tôles oxydées (et non rouillées, pas de gaffe !) de Pierre Tual. Elles furent pliées in situ par l’artiste et son tracteur puis accrochées à l’énorme mur de soutènement de l’ancienne usine de plomb tel des origamis géants se défiant de la pesanteur.
On communie devant les totems devenus noir ébène de François Stahly qu’Eric Touchaleaume a rachetés à la famille Rockfeller (on vous renvoie à un récent article pour l’histoire) pour en faire cette installation mystique regardant à la mer.
Puis on découvre les premières cabanes perchées de Marjolaine Dégremont, dans les premières bassins où les minerais arrivaient par wagonnets pour être concassés et en extraire le plomb. Le bois et les murs enduits à la chaux comme la recherche d’une nouvelle virginité, un échappatoire à la fausse polluée d’un passé laborieux.
En contrebas, au niveau de l’ancienne fabrique, on fouille du regard ces salles au plafond profondément azur à la recherche de nouveaux indices : avons-nous déjà vu ces sculptures qui nous semblent si familières ou bien s’imposent elles déjà comme faisant partie des meubles malgré leur nouveauté ? Peu importe finalement, elles nous invitent à déambuler entre elles d’un pas léger, à danser même pour les plus inspiré(es) entre ombres et lumières.
Aux sculptures tourmentées de Gérard Traquandi répondent les formes molles noires et blanches du jeune duo de designer Baptise Sevin et Jaina Ennequin, supposément des coulées de lave d’un volcan très imaginaire. Des petites assises en terres cuite chamottée, en clin d’œil aux fauteuils de tracteurs d’antan, viennent compléter leur installation in situ. La claustra en brique évidées de terre cuite d’Héloïse Bariols trône toujours en maîtresse de maison dans la salle du fond, dessinant sur le sol ses formes géométriques.
On finit toujours la visite comme on l’a commencé par un hommage au grand Jean qui a prouvé que l’industrie pouvait ne pas manquer de poésie et que le fonctionnel peut-être sensuel. Dans le Bungalow du Cameroun sommeille la « Bête endormie » de Lilian Daubisse. A l’heure d’une frénétique fuite en avant, les soixante-dix mille tiges de carton assemblées sur un filet pour former son pelage nous invite à se mettre en mode pause par son infinie patience.
On chuchote en s’extasiant de l’ingéniosité de l’ingénieur ferronnier qui a pensé ces constructions légères que l’on agrandit et rétrécit à l’envie en ajoutant des portiques et des panneaux tous symétriques.
Dans le Pavillon 6×9 qui d’année en année gagne en mobilier (Perriand, Jeanneret, etc.), on se met à rêver de dormir dans la fraîcheur de ses cloisons de bois et aluminium ajourées. Ce qui pourrait bien arriver très bientôt dira l’un des jeunes guides qui vous donnera comme chaque années toutes les clefs pour comprendre ce lieu industriel chargé d’histoire(s).
Par Eric Foucher