Christian Qui n’est pas un homme de concepts (un terme qu’il abhorre) mais plutôt de rencontres: avec un territoire, un produit, un lieu, un œuvre d’art. Bref tout ce qui peut éveiller en lui l’idée de traduire son ressenti en odeurs et en goûts pour éveiller vos sens … lentement.
Pour le suivre et comprendre sa démarche, il faut mettre ses pas dans les siens, accepter son rythme, celui du mouvement slow Food qu’il représente à Marseille. Nous l’avions retrouvé justement au retour du célèbre salon culinaire de Turin à la fin de l’été sur le pont d’un superbe bateau de pêche nordique des années 30 amarré au bout du Vieux-Port. Le chef et un acolyte avaient décidé d’y proposer une nouvelle façon de se restaurer, à quai ou au fil de l’eau avec le plus beau panorama qui soit sur Marseille. Dernièrement, c’est à un autre projet auquel il s’est attelé, mais toujours autour de paysages gastronomiques. Là aussi on s‘est laissé embarqués…
Comment t’es-tu retrouvé coordinateur Méditerranée de l’Alliance des chefs (nb : une association des chefs du Mouvement Slow Food) ?
C’est arrivé un peu de façon fortuite, suite à la rencontre il y a quelques années de l’un des responsables du mouvement Slow Fish à Gênes (branche du mouvement slow Food spécialisé sur le poisson). Il aimait mon discours sur la cuisine et voulait développer une activité autour des chefs en France.
Toi qui n’aimes pas les étiquettes, tu as accepté facilement cette nouvelle mission ?
On ne m’a pas vraiment demandé mon avis (rires). Mais c’est vrai que je me suis dit : « qu’est-ce que je fais de cette proposition? Je vais perdre mon temps, ça va être compliqué et s’il s’agit uniquement de faire des shows culinaires, ça ne m’intéresse pas vraiment ». Puis je me suis dit qu’il m’appartenait de prendre les choses en amont pour que cela ne soit pas frustrant et que cela ne soit pas juste servir la soupe au mouvement slow Food. Tout en ayant conscience que le scope du métier de chef est maintenant très large entre le type qui bosse tout seul et celui qui a une brigade de 20 personnes, celui qui travaille dans l’industrie et celui qui est dans l’artisanal.
Pour les béotiens, qu’est-ce que la cuisine Slow Food ?
Elle se définit comme quelque chose de bon, propre et juste. Evidemment, elle est tournée vers le locavore, les artisans locaux, les bons produits et le durable (ce qui se traduit pour le poisson par une pêche artisanale et raisonnée). Pour résumer on pourrait dire que c’est une cuisine des petits métiers.
Qu’est ce qui te séduit dans ce mouvement ?
C’est la philosophe des gens plus que le cahier des charges à respecter pour appartenir au mouvement, les difficultés que chacun rencontre dans son métier pour faire ce type de cuisine.
Alors comment as-tu décidé d’aborder les choses ?
J’arrive dans ce mouvement à contre-sens. Non pas par le porte du bio mais par celle de l’envie pour répondre à ces interrogations : « Comment je vais exister dans ce métier sans me faire chier, comment je peux rencontrer des gens, être créatif et comment je peux avoir le plus beau produit ? » Ce qui est beau avec cette approche, c’est qu’on touche aux questions du patrimoine, de l’environnement et de l’amitié avec les artisans.
La rencontre occupe toujours une place centrale ?
Tu te rends compte que les meilleurs artisans sont souvent les plus sympas parce que ce sont des gens qui aiment leur métier. Ils n’ont pas peur de l’exprimer ni de t’en parler. Tu les vois travailler tous les jours et la relation se crée. Il y a un temps de la rencontre.
– L’improvisation est, elle aussi, cruciale ?
Je suis parti dans ce projet sur une démarche de qualité : du produit, de la relation, de la créativité. Faire de la cuisine au quotidien en ne sachant pas ce que tu vas trouver le matin même (i.e : au marché ou sur les quais) pour le soir. Dès fois cela va vachement loin mais c’est assez excitant. Comme à Turin dernièrement sur une conférence, je ne savais pas ce que j’allais avoir dans les frigos après avoir soumis ma liste de course. J’ai découpé les poissons devant le public et j’ai commencé à composer en « live » en travaillant la profondeur de goût, la texture, les saveurs avec les quelques sauces et violets que j’avais apportées. C’est aussi ce que l’on fait en cuisine mais là tu te mets plus en danger.
Quelle sensation éprouves-tu en ces moments-là ?
C’est chouette, ça te rend vivant. Il y a dix mille choses qui se passent dans ta tête. Je compare cela aux arts martiaux que je pratique encore seul chez moi. Comme dans un combat tu dois être alerte, dans l’instant. Tu ne peux pas préparer. Tu dois répondre à une situation donnée.
Quid de l’apparence d’un plat ?
C’est très important. Chaque assiette peut-être un peu différente mais elle doit être juste quand elle sort. Par là, j’entends les bonnes proportions, le fait qu’elle attrape la lumière et que l’harmonie des couleurs soit réussie. C’est un peu comme pour une photo avec le cadrage, la chromie et la profondeur de champs.
D’où vient cette importance pour le visuel ?
Sans doute de mes études. J’ai une formation d’architecte et de paysagiste.
Comment passe-t-on de cet univers à la cuisine?
J’ai débarqué à Londres à 18 ans, avant mes études supérieures. Dans les années 80, tu trouvais facilement des boulots dans la restauration. Je me suis retrouvé assistant cuisinier, puis j’ai fait des pizzas, travaillé dans un bar. J’ai appris des techniques de coupes, réalisé la difficulté du métier. Etre debout, faire des heures, le stress du coup de feu. J’ai ensuite fait des études d’architecte paysagiste. Mais j’étais un paysagiste « bâtard », de celui qui se met en tête de faire participer les habitants aux projets notamment dans les quartiers Nord de Marseille et qui accordait beaucoup d’importance aussi à l’esthétique. Mais je ne croyais plus en la mission d’un paysagiste qui va modifier un environnement par rapport à la politique de la ville sur les quartiers sensibles. La cuisine et la lecture sont devenues des moments de repli. Dans les moments difficiles c’était avec le sport les activités qui me permettaient de me reprendre.
Tu as fini par tout lâcher pour la cuisine
J’ai fait l’école hôtelière à Bonneveine puis je suis allé bosser avec des japonais à Los Angeles.
Ça t’a plu ?
Disons que je passais mon temps à bosser. J’étais le travailleur immigré tout comme les chicanos, avec qui je m’entendais très bien d’ailleurs. Au retour, j’ai décidé de monter mon petit restaurant Sushi Qui.
Avec l’idée de ne pas être prisonnier de ton boulot…
Pas vraiment, car tu apprends en faisant. La cuisine japonaise se fait derrière un comptoir traditionnellement et comme le lieu était petit, il s’y prêtait. Tu te construis avec ces contraintes là. Etant quelqu’un de plus intérieur, il me fallait apprendre à accueillir les gens et à expliquer ce que je faisais. Tu avances à tâtons et tu essaies de trouver ta place. C’est pourquoi je ne crois pas au concept tout fait.
Tu as fait de erreurs ?
J’avais commencé avec un menu qui consistait en un répertoire de tous les plats que j’aimais bien dans la cuisine japonaise que j’avais apprise. Je cherchais des produis tous les jours que je stockais dans un congélateur car on ne pouvait pas trouver tous les produits frais localement Après deux ou trois mois, je me suis dit lors d’une nuit sans sommeil « mais qu’est-ce que je fais ? » Du coup j’ai pris mes menus et je les ai mis à la poubelle. J’ai complètement changé mon approche. Je suis allé sur le Vieux-Port discuter avec les pêcheurs, j’allais goûter leurs produits, je découvrais les saisonnalités, etc.
C’est une approche radicalement différente …
J’ai voulu retrouver cette approche sensible du terrain que j’avais quand j’étais paysagiste, retrouver la confiance. Dans les sports de combat, il y a un question de relâchement en étant sûr que son corps va réagir. C’est hyper relaxant comme attitude. C’est quelque chose que j’essaie de garder vivant comme façon de créer et de vivre.
Et cette façon fût-elle comprise par le public ?
Au départ, c’était dur. Je n’avais pas crée un concept, j’avais juste suivi ma façon d’être. Et dans mon quartier (nb : le boulevard derrière Chave) qui n’était pas du tout branché, je devais m’excuser en permanence quand les gens rentraient de ne pas faire de sushis et de california rolls, ce que tout le monde associait à la cuisine japonaise. Jusqu’à ce que des critiques gastronomiques viennent et mettent en lumière ma démarche.
Comment se déclenchent tous ces projets culinaires comme ceux réalisés dans la Galerie Art-cade (Grands bains douches de la Plaine), à la Villa Marie-Jeanne, sur la goélette Erre 1930 ou actuellement à la salle des Machines de la Friche ?
En général, je suis plutôt à l’origine des choses. A chaque fois l’idée, c’est d’inventer quelque chose de neuf autour de la cuisine.
L’épisode du Erre de cet été était-il la plus réussi?
C’est vrai que c’était hyper puissant de travailler dans un tel univers. Au delà même du travail, il y avait sur ce bateau cette relation particulière au site, à la lumière, qui procurait au delà de la cuisine un vrai sentiment de plénitude. Il faut maintenant qu’on tire le bilan de la saison. Il faudra voir les possibilités et les questions économiques pour la suite car il n’y a pas que la poésie des projets…
Les nouveaux projets justement?
Là je suis en train de travailler sur le projet d’une cuisine nomade. Le côté créatif est d’explorer les lieux, rencontrer des gens, se balader puis mettre des choses sur la table. C’est relié au projet qui se construit sur une idée de voyage. Que je mène actuellement avec l’équipe des Grandes tables (Fabrice Lextrait, Marie-Jo, Belle Lurette, etc.). Ca touche aux questions des paysages autour d’ici. Nous avons déjà programme deux étapes avec les petits pêcheurs de Marseille et la bouillabaisse noire, puis les producteurs autours de l’étang de Berre (la ligne bleue). La prochaine se dirige vers le pays de la Crau, haut lieu de pastoralisme mais on y trouve aussi un rapport terre-mer puisqu’on descend jusqu’aux pêcheurs et ostréiculteurs de Port Saint Louis du Rhône
A ne pas rater jeudi 17 novembre le 3ème dîner-chronique Ta Mer !
(Propos recueillis par Eric Foucher)