Devaky Sivadasan s‘est fait connaître dans l’univers de la gastronomie par d’audacieux mélanges d’épices. Mama Spice, c’est maintenant aussi une grande table ouverte aux saveurs métisses dans le quartier des antiquaires.
Élégante et malicieuse Devaky Sivadasan ne nous fait pas plus penser à une Spice girl – surnom qu’on lui a parfois donné – qu’à l’image qu’on se fait d’une mama des fourneaux. Sans doute parce de trop longues années de culture patriarcale nous ont bercé dans le stéréotype de la femme au foyer qui cuisine et élève les enfants. C’est justement ce qu’a fui dans le passé la jeune indienne a qui l’on avait arrangé un mariage, pour débarquer à Marseille au début des années deux mille. Après de brillantes études et carrière dans l’aéronautique, la cadre dynamique a enfin décidé d’écouter son cœur et de partager ses envies.
Ainsi est né le projet entrepreneurial de Mama Spice. Forte de sa double culture indienne et provençale, elle élabore tel un nez en parfumerie de savoureux mélanges d’épices pour accompagner les légumes, poissons, crustacés, viandes et même desserts. Elle les vendait jusqu’à maintenant à des professionnels, et pas des moindres puisque des chefs comme Anne-Sophie Pic ou Ludovic Turac tomberont sous le charme de ces accords inédits pour imaginer de nouveaux plats. Mais les particuliers aussi peuvent se les procurer sur son site internet accompagnés de recettes et conseils de cuisine.
L’ouverture de cette belle adresse dans une petite rue derrière la Préfecture, dans ce quartier appelé officieusement celui des Antiquaires, permet enfin de réunir ses trois aspirations : une parfumerie d’épices, une table écoresponsable pour déguster tous les jours des nouveaux plats épicés mais aussi des ateliers culinaires pour apprendre à les marier.
Pas étonnant donc que celle-ci n’ai pas l’apparence conventionnel d’un restaurant puisqu’elle doit pouvoir satisfaire aux trois activités imaginées autour de la culture des épices. Derrière de grandes baies vitrées et tout en enfilade, Mama Spice joue la transparence et n’a rien à cacher sur ses motivations : les goûts, les couleurs mais aussi les odeurs, c’est une expérience sensorielle encore inédite à Marseille. Bois blond, long îlot central recouvert de marbre et suspension de cristal, le minimalisme du lieu a de quoi surprendre. Mais il a le mérite de trancher avec les décors exotiques sans âme qui se sont multipliés dernièrement.
Les couleurs, on les trouvera dans les vitrines au fond de l’établissement où sont alignés, tel les flacons d’un apothicaire, tous les petits trésors d’épices développés par Devaky. Mais aussi surtout dans les assiettes proposées chaque midi et en soirée uniquement les fins de semaine avec en renfort conjoint et fiston.
La carte qui change chaque jour est très réduite afin de répondre à des engagements forts : une cuisine sur le moment avec des produits frais de saison cueillis la veille de leurs livraisons et une consommation eco-responsable pour réduire le gaspillage alimentaire et les déchets d’emballages. Elle ne cuisine que ce qui est prévu d’être consommé d’après les réservations effectuées.
Ce jour-là nous la salade est un méli-mélo de légumes de saison, un délicieux mélange sucré salé de pomme, pois chiche grillés aux épice ruba, pickles de concombre, oignon et betterave chiogga, feta, courgettes, tomates primeurs et sauce yaourt aux herbes. Un assemblage si frais qu’on n’en perd pas une miette et qui a le mérite de nous changer de l’accord l’huile d’olive vinaigre balsamique devenu la norme saladière sous nos contrées.
Le plat lui est un curry d’œufs durs et iddiyappam (nid de vermicelles de riz fait maison et cuit vapeur) avec sa brochette de légumes de saison. Un plat typique de son Kerala natal berceau des épices. On est surpris par la finesse des saveurs et arômes bien loin des clichés sur les plats indiens épicés à l’emporte-bouche. Des découvertes qui nous donnent envie de s’initier à cette gastronomie lors des ateliers de cuisine et d’acheter des flacons d’épices. C’était le but de la manœuvre et il a été brillamment réussi.
Foncez si vous voulez découvrir du nouveau dans l’assiette, de belles céramiques signées Sylvie Lorne.
Le Petit Plus : le lieu se prête à merveille à des privatisations pour des cocktails ou démonstrations culinaires.
Par Eric Foucher