Et si on regardait l’histoire du monde en renversant les regards ? Si on découvrait l’exceptionnelle diversité des cartes, calendriers, récits venus d’Asie, d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie. C’est tout l’enjeu de cette passionnante exposition du Mucem qui part du principe que l’Europe n’est pas le nombril du monde.
Tout commence par des questions : « A qui appartient l’histoire ? Quand commence-telle ? Qui découvre qui ? Comment se réapprorier les recits du passe ? Puis un premier tableau. Une allégorie à la gloire de Napoléon peint par Alexandre Véron-Bellecourt au début du XIXème siècle. On y voit la muse Cléo vanter les hauts faits de l’Empereur aux autres nations du monde représentées en stéréotypes et apparemment subjuguées par le roman national français.
Kascen, la société chargée de la scénographie de l’exposition a eu la bonne idée de le présenter de biais et de créer des petites fenêtres par lesquelles sont isolés les personnages et les sujets. Une façon d’insister sur le point de vue unique sur l’Histoire universelle depuis l’Europe – et de façon générale l’occident – qui a toujours prévalu dans nos cours d’histoire et perdure encore un peu aujoud’hui.
En face de ce tableau, un autre lui fait face. Il s’intitule « la vraie carte du monde ». Il est l’œuvre de l’artiste Chéri Samba. L’artiste congolais s’y représente autour d’un planisphère inversé qui respecte la vraie taille des pays et le point de départ d’une autre histoire du monde. La position centrée et dominante l’Europe que l’on connaît dans toutes les représentations est en effet à la fois symbolique et tronquée.
« Ce décentrement nous éclaire sur les manières de voir, de sentir et de penser des populations non-européennes tout en renouvelant notre perception de nous-mêmes, de l’histoire longue de la France et de l’Europe. Le musée est le lieu privilégié pour mettre en récit ces multiples histoires qui s’inscrivent autant dans la matérialité des objets que dans les formes écrites. » (Pierre Singaravélou)
L’exposition se découpe en 5 grandes sections qui avec des cartes, livres, maquettes, enregistrements audios, objets et œuvres d’art cherchent à décentraliser notre perception de monde depuis des civilisations volontairement ignorées de notre histoire.
Les espace-temps du monde sont ainsi passés en revue abordant les différents calendriers, la notion de progrès, la façon de découper le temps, les histoires orales mais aussi la façon d’orienter le monde sur les cartes avec un grand nombre de cartes jamais montrées au public.
La deuxième partie remet en cause le modèle des grandes « découvertes » des nations européennes. Qui découvre l’autre quand deux peuples se rencontrent ? Elle révèle les expéditions souvent méconnues des autres civilisations en Océanie, Asie, Afrique, etc.
Le phénomène de mondialisation est d’abord maritime et se matérialise par l’essor de la navigation grâce à d’exceptionnelles embarcations comme ces pirogues à voile à double balanciers dont on a retrouvé des traces en Nouvelle Calédonie et qui dateraient de l’an mille.
Une autre section, s’intéresse aux « Altérités plurielles », c’est à dire le fait de pouvoir s’intéresser à des cultures sous différentes perspectives et non plus une, héritage d’une pensée unique.
Au lieu d’un grand cours d’histoire linéaire, nous avons voulu poser des grandes questions-clés aux visiteurs. Elles apparaissent, reformulées, à l’entrée des salles de chaque section. En introduction par exemple, nous nous demandons : « À qui appartient l’histoire ? » (Camille Faucourt)
Ignorer les cultures d’avant les conquêtes est bien évidemment un outil favorisant l’oppression des peuples colonisés. De nouveaux récits historiques seront pour eux des outils de résistance à ce vol de l’Histoire et permettront de contrebalancer le récit occidental.
La réécriture contemporaine de l’histoire se poursuit aujourd’hui aussi sur les réseaux sociaux et les plateforme de streaming. En fin d’exposition, des affiches de films font apparaître des héros nationaux bien différents de ceux auxquels nous avait habitués Hollywood.
A l’heure de la globalisation, le capitalisme moderne fonctionne moins en terme d’histoire à entretenir que de marchés à conquérir.
« Nous proposons au public une exposition réflexive, immersive et entraînante, pour donner à voir, très concrètement, à travers les œuvres choisies, la manière dont chaque peuple ou société a produit et continue de produire son propre storytelling, interrogeant ainsi la fabrique même de l’histoire, des altérités et de la mémoire au sein des mondes de plus en plus interconnectés ». (Fabrice Argounès)
Par Eric Foucher