Quoi ? : Photos, peintures et documents
Où ? : MuCEM, 1, Esplanade du J4, 13002 Marseille, France
Quand ? : Du 6 avril au 22 août 2022
Combien ? : 11 € (réduit 7.5 €)
Un lien ? : Cliquez-ici

Qui est Abd el-Kader, figure de la culture musulmane devenue mythe? Emir de la résistance, fondateur de l'état algérien, guerrier et homme d'état ? L'exposition du Mucem nous fait découvrir documents à l'appui la vie du saint homme mais décrypte aussi l'influence qu'il a pu exercer sur ses contemporains jusqu'à aujourd'hui.

Méconnu en France, Abd El Kader (1808-1883) possède la même aura en Afrique du Nord qu’un Garibaldi pour les Italiens ou un Bolivar pour les sud-américains. Il apparaît comme la figure unificatrice, un grand résistant aux conquêtes coloniales françaises mais aussi un homme de réconciliation comme a pu l’être Nelson Mandela avec ses anciens oppresseurs.

L’exposition qui vient d’ouvrir au Mucem permet de découvrir un personnage aux multiples facettes, et tente de dénouer les liens étroits entre histoire et légendes, mythes et réalités. Les commissaires Camille Faucourt et Florence Hudowicz ont fait appel pour cela à deux éminents spécialistes de ce saint combattant, fondateur de l’état algérien : Ahmed Bouyerdene, auteur et chercheur en histoire, spécialiste de la vie et de l’œuvre de l’émir Abd El-Kader et le Père Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon, auteur, acteur du dialogue interreligieux qui a légué au Mucem une riche collection de photos, objets et documents sur l’homme.

En ces temps troublés de repli identitaire et de crispation religieuse, les deux hommes insistent sur l’importance de ce personnage comme modèle pour les jeunes générations, une figure qui peut réconcilier des mémoires blessées, faire l’unité entre les mémoires algériennes et françaises.  « Si les chrétiens et les musulmans avaient voulu m’écouter, j’en aurai fait des frères » avait dit en son temps l’émir. L’exposition n’a bien sûr pas cette ambition mais tout au moins sortir de l’ignorance cette grande figure que notre Histoire de France a toujours présenté sous le filtre de la puissance coloniale apportant la lumière aux peuples indigènes.

En cette année où l’on va fêter les 60 ans de la signature des accords d’Evian officialisant l’indépendance de l’Algérie après 137 ans de colonisation, la mission d’information et d’analyse semble d’autant plus importante.  Avec plus de 250 œuvres et documents issus de collection publiques et privées (Archives nationales d’outre-mer, BNF, Musée de l’Armée, le Louvre, Musée d’Orsay, CCI Aix Marseille, etc.) l’exposition atteint brillamment cet objectif avec rigueur historique et décryptage impartial.

En quatre temps, l’exposition débute par un volet biographique où l’on apprend beaucoup les origines et l’ascension de ce fils d’une famille aristocratique qui va réussir à fédérer les tribus de son pays contre l’envahisseur français. Il réussira à leur tenir tête jusqu’à ce que la puissance militaire commandée par le Général Bugeaud décide de décupler ses forces militaires en Afrique du Nord pour venir à bout de la farouche résistance.

Stratège militaire, Abd el-Kader crée après la prise d’Alger et des grandes villes du pays un khalifat mobile, une ville de pus de 60 000 habitants se déplaçant au gré des conflits. Baptisé la Smalah, sa prise a fait l’objet d’une grande fresque (25 x 5 mètres) du peintre Horace Vernet, décryptée dans l’exposition. Abd el-Kader, absent durant cette bataille, finira néanmoins par capituler en 1847, sa soumission faisant là encore l’objet de nombreuses peintures montrant sa soumission à Louis Philippe.

La deuxième phase (1847-1852) présente l’arrestation et la période de captivité d’Abd El Kader en France dans divers lieux d’internement (Toulon, Pau, Amboise).  La réédition contre une promesse d’un sauf-conduit promis par le Duc d’Aumale pour Abd El Khader, sa famille et ses proches ne sera en effet pas respectée par Louis-Philippe après sa capitulation. A son arrivée en bateau à Toulon, il sera arrêté. Commence une difficile captivité de 5 ans qui ne fera que faire croître l’aura de l’homme qui se tourne de plus en plus vers la religion. Depuis les premières photos de l’homme par Gustave le Gray en 1851 jusqu’aux nombreux objets à son effigie (assiettes, plaque de cheminée, étiquettes de vin ou de brandy) on mesure année après année la popularité grandissante de l’homme.

De nombreuses personnalités comme l’archevêque d’Alger qui écrira un plaidoyer à l’Empereur Napoléon III pour sa libération mais aussi des écrivains qui écriront sa légende (Victor Hugo, Rimbaud, etc) se mobilisent pour sa libération. Elle arrive enfin, marquant une nouvelle étape de sa vie au Proche-Orient qui aura son point d’orgue en 1860, lorsqu’il sauve du massacre des milliers de chrétiens à Damas.

La dernière partie de l’exposition montre l’importance d’Abd El-Kader, qui a su associer le spirituel et le temporel sans jamais s’opposer à la modernité. Contrairement à pas mal d’intellectuels de son temps, il ne craint pas la photographie. On lui reconnaît même un certain art de la pose dont il se sert volontiers.

Une commande artistique auprès de l’artiste Amina Menia permet de conclure l’exposition par une sculpture baptisée « Material for a landscape » Fragment de mur de soutènement, l’œuvre symbolise les tensions mais aussi l’effort pour construire, bâtir soutenir un projet d’unification.

Le Petit Plus : Tout au long de l’expo des QR codes permettent d’accéder à des documents sonores, poèmes. Des podcasts autour de l’expo ainsi qu’un petit journal sous forme d’enquête permettront aussi une approche plus ludique de l’expo. Enfin de nombreux événements (lecture de Benjamin Stora et Nina Bouraoui, concert d’Acid Arab, etc) rythmeront toute la durée de l’exposition.

Par Eric Foucher