Fille de pub à Paris Clara Chauvin est devenue Anna Uru à Marseille, en basculant toute la palette de son talent dans l’illustration à plein temps. Nous vous faisons découvrir son univers pop et fantasque.
C’est grâce à la palette graphique de son ordinateur qu’elle répond à tous types de commandes (presse, évènementiel, publicité, édition, identité visuelle, …). Et c’est par les réseaux sociaux qu’on a découvert son talent. Anna Uru fait partie de ces digitales natives pour qui le numérique coule de source mais qui a aussi réussi à lui donner un supplément d’âme. Après 5 ans passés dans une agence de publicité, à Paris, elle est revenue dans son Sud natal, pour se consacrer entièrement à sa passion pour le dessin en se faisant très vite remarquer, tout autant par son style que par ses messages. Des couleurs pop et vives comme à la grande époque de l’aérosol, des dessins assez cul mais jamais cul-cul, Anna surfe sur les sujets de société en combattant avec humour et fausse candeur pour les idées qui lui tiennent à cœur (féminisme et inclusion en tête). Nous l’avons rencontrée dans son atelier marseillais.
Ancienne Directrice artistique, qu’est-ce qui vous adonné envie de vous lancer à fond dans l’illustration ?
J’ai travaillé durant près de 5 ans comme DA en agence de publicité, chez Jésus & Gabriel à Paris. Là-bas, j’ai eu la chance de côtoyer Léa Chassagne, qui travaillait comme DA mais également comme illustratrice. Elle m’a donné envie de me lancer dans l’illustration, et m’a beaucoup encouragée à approfondir mon style et oser montrer mes productions. C’est parti de là.
Sur mon temps libre, j’ai commencé à réaliser de plus en plus d’illustrations détournant des mésaventures amoureuses qui m’étaient arrivées et à les publier sur Instagram, et ça a vite pris.
Il n’a suffi que de quelques mois pour que j’intègre l’agence d’illustrateur.trice.s Pekelo et que je réalise mes premières commandes. Petit à petit je me suis détournée du travail de DA dans lequel je ne trouvais plus vraiment de sens, pour redescendre m’installer dans mon Sud natal et me lancer à 200 % dans l’illustration.
Comment réalisez-vous celles-ci ?
Les illustrations que je réalise sont essentiellement digitales. Je les crée à partir des logiciels Procreate et Photoshop, depuis mon atelier près du Vieux Port. Par la suite, je fais imprimer des séries limitées de chacune d’elles, en utilisant divers procédés : jet d’encre, laser, sérigraphie, risographie, etc.
D’où vient votre étrange nom d’artiste ?
Je l’ai trouvé en faisant des recherches sur la constellation Orion, qui est ma préférée. J’ai entrepris de « googler » des choses que j’aime dans la vie, pour choisir un nom qui « me ressemble ». En parcourant la page Wikipedia dédiée, j’ai lu que l’une des hypothèses sur l’origine du nom Orion viendrait du mot « Uru-anna » (en langue sémitique). J’ai trouvé ça joli et me suis dit que ça sonnait bien comme nom/prénom. Ça veut littéralement dire « lumière des cieux » donc c’est pas très modeste, mais je l’ai choisi plus pour la sonorité que pour la traduction 🙂
Vos personnages sans yeux, ni bouche, ni nez sont reconnaissables entre tous ? D’où vient ce parti-pris ?
L’idée de ne pas représenter de visage vient d’une volonté de laisser le public imaginer ce qu’il veut dedans. Il peut ainsi se projeter, personnellement ou non, et faire vivre à sa manière les personnages tout en rejouant les scènes suivant diverses interprétations.
Les visages lisses attirent, voire percutent l’œil ; l’identification qu’ils encouragent a tendance à les rendre d’autant plus animés.
Et puis, comme l’essentiel de mes illustrations personnelles recèlent de messages plus ou moins sous-jacents et engagés, cette identification est plus prompte à sensibiliser et impliquer le public.
Qu’appréciez-vous dans le travail de commande ?
J’apprécie énormément le travail de commande en ce qu’il me challenge et me fait découvrir plein de sujets. J’aime aussi beaucoup parler avec les gens. Tous les travaux de commandes ne se ressemblent pas : certains, dont la portée est avant tout conceptuelle, nécessitent un gros travail de réflexion et de documentation préalable, pour inviter efficacement les gens à réfléchir sur un sujet donné (c’est le cas des illustrations pour la presse, par exemple, mes commandes préférées).
D’autres, plus légers et illustratifs, permettent de s’approprier une atmosphère via des enjeux graphiques, tout en donnant la part belle à son imaginaire. C’est un travail à plusieurs mains, entre les commanditaires et soi-même. Cela permet d’aller plus loin tous.tes ensemble et c’est ce que j’apprécie le plus. C’est super gratifiant et excitant de se voir choisie pour apporter son point de vue et son univers, on se retrouve impliquée dans le destin d’un projet et c’est ce qui donne envie de tout donner.
Comment nourrissez-vous votre imaginaire ?
Je passe énormément de temps à regarder le travail d’autres artistes, quelques soient les affinités que j’aie avec leur style : c’est toujours très enrichissant de voir comment les autres designent et assimilent les contraintes d’un sujet.
Je regarde aussi beaucoup de documentaires, notamment sociétaux : rester connectée à ce qu’il se passe autour me permet de garder un œil critique. Cela m’aide aussi à pratiquer une gymnastique d’esprit essentielle pour rester créative.
Mais le plus efficace reste encore de prendre l’air et me confronter au calme, notamment de la campagne. Partir en excursion me permet de faire le vide ; et souvent, beaucoup d’idées « poppent » d’elles-mêmes après une longue marche où je n’ai pas du tout pensé au travail et où mon œil s’est baladé librement.
L’illustration est-elle une bonne arme pour faire passer des combats politiques (inclusion , féminisme, etc)?
Absolument, oui. En ce qui me concerne, je suis très sensible aux concepts visuels (c’est pour cela que j’ai choisi ce métier). Incroyablement maniable dans la forme qu’on souhaite lui donner, je trouve qu’elle est l’outil d’expression idéal pour parler aux gens et faire passer des combats politiques. De par sa vocation esthétique et sa dimension virale, elle touche énormément de gens en faisant appel à leur imaginaire. Elle peut être incroyablement percutante, proposer des jeux d’esprit, être franchement décalée ou au contraire très concrète. Elle attire toujours l’œil et se démarque par l’infinité des concepts qu’elle permet d’explorer.
N’importe quelle illustration peut devenir politique, en ce qu’elle reflète l’époque et la société dans laquelle nous vivons.
Je suis si heureuse de voir de plus en plus d’artistes traiter de problématiques liées au féminisme, à l’inclusivité, à la revendication d’être libre de qui on veut être en faisant fi du regard que la société porte sur nous. J’espère que l’on va être toujours plus nombreux.ses à s’emparer de ces sujets.
L’humour et le côté décalé est aussi un des traits de votre travail. Cela permet d’aborder la sexualité ou des thèmes graves avec plus de légèreté ?
Je trouve que l’humour permet de toucher plus largement le public, en ce qu’il propose généralement une approche moins frontale et offre du relief aux sujets dont il s’empare. En faisant d’entrée « péter » certaines barrières, les gens qu’il prend à parti se rendent plus disponibles à la discussion, ou à la réflexion ; il a ainsi vocation à faire passer des messages, même si selon les sujets abordés, il peut être parfois difficile à utiliser.
L’humour dédramatise les choses de mon côté aussi, lorsque je m’attelle à illustrer un thème grave ou pesant.
D’une manière générale, je suis un peu comme ça dans la vie ; étant de nature assez anxieuse, j’ai pris l’habitude d’aborder/régler beaucoup de choses par l’humour, rire fait vraiment du bien. Évidemment, ça ne marche pas sur tout et tout le temps ; mais c’est l’angle principal par lequel j’ai décidé de m’exprimer dans mon travail.
Le crochet, l’équitation, d’autres hobbies ?
J’aime beaucoup les récits de faits divers, aussi je me documente énormément sur tous types d’affaires ; j’écoute beaucoup de podcasts et dévore un nombre incalculable de documentaires là-dessus. J’aime aussi beaucoup faire de la couture, je me suis d’ailleurs tout récemment achetée une machine à coudre sur Le Boncoin. Mais malheureusement, je manque de temps pour exploiter pleinement cette activité. Hahaha !
Un prochain projet qui vous tient à cœur ?
Dans un mois, je participe à une exposition collective au Hangar de la Belle de Mai, qui est un endroit que j’affectionne beaucoup. Je crée pour l’occasion des illustrations érotiques à colorier, qui seront affichées sur les murs pour que le public les termine. Je suis très friande de projets marseillais, que ce soit dans le cadre de travaux de commandes ou de projets d’expositions. Cela me tient très à cœur de réaliser des dessins pour communiquer sur ce qu’il se passe dans ma ville et la mettre en avant.
Des adresses où vous aimez traîner ou travailler à Marseille ?
J’aime beaucoup traîner sur le Boulevard Chave, juste à côté de chez moi, qui est très ensoleillé et assez calme. Je passe énormément de temps attablé chez le traiteur Comme à la Maison, à déguster les plats servis par Daniel et Martine ; j’ai découvert ce traiteur/cantine d’habitués grâce à mon père, qui m’a proposé un jour d’aller y prendre le déjeuner. Depuis, j’y passe littéralement mon temps, c’est mon endroit préféré.
Sur le même trottoir, un peu plus près de la Plaine, il y a le Voilà Vé où j’aime beaucoup m’assoir pour boire un verre de vin. J’adore ce lieu car on s’y sent bien, le service est incroyable et la carte vraiment délicieuse.
Je bois énormément de cafés au Commis d’Office rue Venture, près de mon atelier. Ayant arrêté la cigarette il n’y a pas longtemps, je compense mes feu pauses clopes par des pauses cafés. La terrasse charmante de ce resto excellent, qui donne sur une petite rue piétonne pavée est l’endroit idéal pour se poser. Et le patron Jérôme est très gentil.
Propos recueillis par Eric Foucher