Quoi ? : Auteure du livre Marseille Cuisine le Monde (Ed.La Martinière)
Combien ? : 29.90 € en Librairie
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Pendant un an, au plus fort de la pandémie, Vérane Frédiani a écumé la ville à la rencontre de ceux et de celles qui l’ont replacée sur le podium de la gastronomie. Soixante portraits, soixante-quinze recettes et deux cents lieux plus tard, voilà que sort "Marseille Cuisine le monde". Cette fois, c’est à nous de la cuisiner un peu sur ses motivations à écrire cet hommage gourmand à sa ville natale.

Vérane Frédiani est marseillaise et fière de l’être, jusque sur son t-shirt « Pieds Paquets » qu’elle porte le jour de notre rencontre et qui annonce malicieusement la couleur. Elle a été dans une première vie journaliste cinéma sur MCM, puis Canal Plus, où elle présentait « Le Journal du Cinéma » à la suite d’Isabelle Giordano. Après les acteurs et les réalisateurs, ce sont les éleveurs, artisans, et chefs qui attireront son attention alors que des bouleversement majeurs s’opèrent dans notre façon de manger et de produire. Productrice et coscénariste du documentaire Steak (r)evolution, elle est aussi l’auteure du documentaire À la recherche des femmes chefs et des ouvrages Cheffes et Elles cuisinent.

Installée maintenant à Londres, elle se rend régulièrement à Marseille où vit toujours une partie famille. C’est en constatant la richesse et la variété des commerces de bouche qui ont essaimé partout dans la ville ces derniers temps que naîtra l’idée d’un documentaire sur cette scène culinaire particulièrement vivante et cosmopolite. Elle décide de passer son confinement dans la ville de son enfance et le projet de film se transforme finalement en un  livre avec les Éditions La Martinière.

Un gros pavé de 256 pages gavé de portraits de personnalités plus ou moins connues (Hugues Mbenda, Guillaume Ferroni, Marie Josée Ordener, etc…), de recettes (la Chorba algérienne de Mina Rouabah-Roux, les aubergines farcies de Tante Lucie ou la bouillabaisse façon Christian Qui) et d’adresses de tables cultes comme de nouveaux venus.

Un tour du monde côté assiettes à piter goulument.

Comment définiriez-vous votre attachement à Marseille, vous qui en êtes partie depuis longtemps ?

Marseille, c’est ma ville, c’est chez moi. Voilà. Mais à l’âge de 20 ans, j’ai eu besoin de m’en éloigner, de prendre le large, d’aller voir ailleurs si j’y étais. C’est à partir de ce moment-là que ma fierté d’être Marseillaise est devenue encore plus grande et que je suis devenue une ambassadrice ultra de ma ville ! C’était en 1994. A l’époque, Marseille ne faisait rêver personne. Il fallait sans cesse déjouer le mépris des Parisiens (and Co) avec humour. Quand en 2002, j’ai commencé à animer Le Journal du Cinéma sur Canal Plus, on m’a collé un coach pour que je perde mon accent. Mais quand je m’énerve, je le reprends instantanément ! Ne vous inquiétez pas. Toute ma famille est à Marseille. J’ai vécu à Paris, Lille, Birmingham, Londres mais on m’a toujours énormément croisée dans les rues de Marseille, hiver comme été. Et c’est aussi grâce à ces allers-retours que j’ai vu et pu écrire sur l’évolution de ma ville. En prenant de la distance, on comprend mieux là d’où on vient.

Ces derniers temps on a vu fleurir beaucoup de livres sur Marseille ? Que vouliez-vous apporter de nouveau ?

Quand je pense qu’une idée de documentaire pourrait questionner nos points de vue, décloisonner notre société, mettre en avant des talents sous-représentés, nous faire tous réfléchir à qui nous sommes, à ce que nous voulons, à là où nous allons… alors je me lance à 200%. Cette fois ci, j’ai pensé qu’on avait besoin de documenter le Marseille d’aujourd’hui au travers de sa révolution culinaire actuelle et que c’était aux Marseillais de le faire. L’angle de la gastronomie et des cuisines s’est naturellement imposé pour dresser un portrait moderne, diverse, vivant, rassembleur et positif de cette ville au potentiel énorme qui pourrait servir de modèle à bien d’autres villes ! La cuisine rassemble et par les temps qui courent on a besoin d’aller vers l’autre, d’apprendre à se connaître les uns les autres, de partager… Mon travail, je l’espérais, donnerait une impulsion de plus dans cette direction. Je n’ai pas encore trouvé le financement pour ce documentaire alors en attendant, j’ai fait un documentaire en livre ! Je voulais également que les Marseillais soient fiers de ce livre et qu’ils l’adoptent. Ce n’est pas livre uniquement pour les touristes. C’est un livre pour tous ceux et celles qui aiment manger !

Comment s‘est passée l’écriture de ce livre très fourni ?

J’ai travaillé sur ce livre concrètement d’Avril 2020 à début mai 2021. Mais j’en avais le projet depuis 2018. A l’époque je sortais l’ouvrage Elles cuisinent chez Hachette pratique. Je leur en ai parlé et l’équipe m’a ri au nez ! Il faut le dire.  « Qui pourrait bien acheter un livre sur Marseille ? » m’a-t-on dit. On en était encore là ! J’ai fini par changer de crèmerie et aller pitcher mon “Marseille cuisine le monde” aux Éditions de la Martinière chez qui j’avais co-écrit Steak (R)évolution et Steak in France. L’éditrice de La Martinière ne connaissait pas vraiment Marseille mais elle y a cru. J’ai peaufiné mon dossier fin 2019/début 2020 avec elle, en faisant plusieurs allers-retours sur Marseille.Puis j’ai débarqué chez mes parents avec ma fille, début mai 2020 en plein confinement avec l’intention d’y rester 4 mois et de partir à la redécouverte de ma ville. Beaucoup de rencontres et de photos se sont faites pendant l’été 2020. La vie avait repris et je n’ai jamais vu autant de monde à Marseille que cet été là ! J’ai beaucoup marché … et pris beaucoup de photos. Je tournais en même temps un documentaire à Menton alors je n’ai pas chômé ! Je suis rentrée à Londres de mi-Septembre à mi-Décembre 2020, puis je suis revenue à Marseille avec toute ma famille de mi-décembre à fin Avril 2021.  L’école sur internet a été une vraie aubaine pour moi et ma fille a souvent fait assistante lumière, réflecteur à la main. C’est formateur !

Quelles étaient vos sources premières et comment avez-vous fait vos choix ?

À Marseille, il faut parler et ça, je sais faire ! J’ai commencé à dire à tout le monde que je faisais ce livre et tout le monde m’a envoyée dans sa pizzéria préférée ! hahaha! Je connaissais aussi pas mal de femmes chefs grâce à mes travaux précédents et mes recherches ont commencé avec un verre pris à la Fabriquerie avec la cheffe Laëtitia Visse. Elle m’a notamment donné le portable d’Ivan au Bar des Amis et m’a recommandé le restaurant japonais Ko Ishi. La photographe culinaire Maki Manoukian, elle, m’a envoyé vers le bar Carry Nation et Guillaume Ferroni. Puis je suis allée voir la cheffe Georgiana Viou aux Grandes Tables de la Criée parce que je la connaissais et qu’elle y faisait un pop-up et c’est là que j’ai rencontré Marie-Josée Ordener et toute la bande des Grandes tables. Pour Nadjatie Bacar M’Ze, je me suis assise dans le restaurant qu’elle avait encore il y a quelques mois, j’ai déjeuné et je suis restée, je l’ai observée cuisiner jusqu’à ce qu’elle commence à me parler. Idem chez Romain et Marion, le restaurant afghan. J’avais écrit à Romain qui ne m’avait jamais répondu alors je suis allée voir qui était ce Romain et finalement, on s’est bien marrés

Autre exemple, j’avais contacté le Fémina au moment de l’écriture de Cheffes, un guide recensant les femmes chefs de France que j’avais co-écrit avec Estérelle Payany. Pour ce nouveau projet, je suis revenue voir Mustapha Kachetel, manger un couscous pour le prendre en photo et là je suis tombée sur ma bonne fée Marianne Tiberghien. C’est avec elle que je suis allée au Comptoir des Beaux Arts et chez Tamky. Je connaissais ces lieux mais les prendre en photo était une autre affaire. À Marseille, on ne donne pas sa confiance comme ça ! Il vaut mieux être du coin, passer du temps un peu partout, et si en plus, vous avez une connaissance en commun, c’est tout bon ! C’est pour cela, à mon humble avis, que ce livre diffère de ce que des journalistes parachutés du Lubéron nous pondent sur Marseille.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans ce travail : la pandémie, la dispo des gens, gagner leur confiance pour qu’ils se livrent ? 

Le plus difficile a été de faire des choix. Je ne pouvais pas tout mettre ! Il va me falloir un tome 2 ! J’ai 25 000 photos dans ma librairie Lightroom et des adresses chez qui j’ai déjeuné tout l’été 2021 pour m’excuser de ne pas avoir pu les mettre dans le livre.

Quels ont été les moments les plus forts ? 

Quand j’ai compris que la recette de la pompe à l’huile de la chef pâtissière Laura Bonnarde était en fait celle du grand-père de mes cousins, je me suis dit qu’enfant, je ne m’étais pas assez rendue compte des trésors culinaires qui m’entouraient. Cela a pas mal influencé le livre. J’ai goûté la pompe à l’huile de Laura, je l’ai trouvée délicieuse et ça m’a replongée en enfance. Puis Laura m’a expliqué que c’était la recette de son grand-père, de l’ancienne boulangerie Michel à Allauch. Là, j’ai appelé ma tante, Yvette Michel, pour savoir si son père, Dédé, qui avait un cabanon à Allauch avait des boulangers dans sa famille. Je me souvenais qu’il nous faisait des pâtes à pizza de folie et les pompes à l’huile pour Noël. Et banco, Laura et moi, nous sommes de la même famille ! La cuisine rassemble ! Les livres aussi.

Autre anecdote : le guide Michelin m’a envoyée tourner une vidéo avec le chef Alexandre Mazzia dans tout Marseille en Décembre 2020/ Janvier 2021 alors que je travaillais sur mon livre. Je ne le connaissais pas, le restaurant était fermé. Il m’a donné rendez-vous aux Goudes à 6h30 du matin, puis un autre jour à 7h à la boucherie Bec. Je lui ai dit ” Ok, de toute façon, on se reposera quand on sera morts”. Je crois que ça lui a plu. Je l’ai filmé avec son équipe non-stop pendant 4 ou 5 jours. Il ne savait pas qu’il allait avoir une 3ème étoile, je ne savais pas qu’il serait dans le livre… et tout est arrivé !

Qu’est-ce qui a fait qu’on soit passé en 20 ans d’une ville avec très peu de bonnes tables à l’embarras du choix de nos jours ? 

Les femmes ont enfin ouvert leurs restaurants ! Avant on avait Suzanne Quaglia et Jeannine Moréni rue Sainte, maintenant on pourrait presque faire un guide culinaire sur Marseille qu’avec des femmes ! Plus généralement, la gastronomie française dans son ensemble s’est réveillée grâce à l’arrivée d’une nouvelle génération de talents plus diverses, mixtes, avec dans leurs trousses des influences culinaires variées. Or il est moins cher d’installer son restaurant et de faire son trou à Marseille qu’à Paris. Paris est saturé, les restaurants payent des loyers tellement exorbitants qu’ils collent les tables les unes aux autres, les équipes sont crevées et en sous-effectifs. En salle, on ne vous accueille que très rarement avec le sourire et il vous arrive souvent d’y manger mal. Désolée de dire tout haut ce que beaucoup de touristes pensent.

Aujourd’hui, on demande à la cuisine de restaurant de faire sens. La cuisine de palace est presque déplacée. On vit dans un monde où la cuisine doit nous permettre de nous rapprocher les uns des autres, pas de nous diviser en fonction de nos porte-monnaie.

Marseille, avec sa restauration accessible a naturellement pris une place enviée! Elle est basée sur des cultures culinaires familiales et le système D. Beaucoup de chefs ne sont pas issus d’une école de cuisine, mais à Marseille, on ne regarde pas votre CV. Si ce que vous faites est bon et pas trop cher, votre restaurant sera plein. Alors si vous rajoutez à cela des chefs et cheffes de talent, vous obtenez une scène culinaire unique où les pièges à touristes commencent enfin à disparaître

L’année de la culture en 2013 a permis de révéler cette nouvelle ébullition aux touristes …et aux Marseillais !

Vous vous êtes beaucoup intéressée aux femmes en cuisine (cf Cheffes et Elles Cuisinent). Elles sont aussi très présentes dans ce nouveau livre et semblent être les actrices principales de ce renouveau culinaire marseillais ? Un juste retour des choses ?

Il y a 40 ans, 30 ans, 20 ans même, à Marseille, on allait manger chez les cousins, les voisins, chez des amis mais on n’allait pas au restaurant. Le restaurant, au mieux, c’était la pizzéria. Alors la cuisine marseillaise, c’était une cuisine de maison et donc à l’époque, une cuisine de femmes ! Je pense qu’on pourrait dire la même chose pour toute la Méditerranée, voire pour le monde entier. Alors oui en effet, le fait que les femmes chefs soient le socle du renouveau culinaire dans les restaurants marseillais est une étape tout à fait juste et méritée. Elles sont enfin sur le devant de la scène, là où elles doivent être, vu leur expertise, leurs connaissances, leurs talents et les mélanges qu’elles osent.

Soupes tunisiennes, pain algérien, pizza napolitaine, cuisinière de quartier et recettes maison :  comme l’exprime le titre vous ne vous cantonnez pas à la cuisine provençale et aux chef étoilés. Cette diversité était-elle assez mise en avant auparavant ? 

Non je ne crois pas et je pense même que Marseille n’arrivait pas à se regarder en face. Elle passait à côté de son potentiel. Pourtant, cette diversité est une force et c’est bien cela l’idée de base de mon livre. Rien ne disparaît, les étoilés sont utiles, mais la table s’agrandit.

L’ouverture de nouveaux restaurants, épiciers, etc. a été très rapide (principalement depuis 2013 comme vous le dite dans le livre). Est-ce que la scène culinaire locale est mature où est-ce que ça pêche encore dans certains domaines ?

Il y a encore de la place ! Venez ! Il y encore des quartiers culinairement endormis à réveiller ! Et tout autour de Marseille aussi ! Allauch, Aubagne…

Les grosses déceptions ? 

Certaines adresses du Fooding que je ne nommerai pas. J’aime beaucoup le Fooding, je l’utilise souvent, mais la branchitude ne sonne pas toujours juste dans une ville comme Marseille.

Rendez-vous manqués, oublis, si vous deviez faire un ajout à cette édition ? 

Ce ne sont pas des oublis, c’est un manque de pages et un choix fait en fonction de mon angle qui était la diversité culinaire marseillaise. Si je pense aux femmes chefs, j’aurais aimé également parler de Delphine Roux, de Vanessa Robuschi, de Charlotte Baldaquin, de Sanna…. il y a aussi David Mijoba ou le restaurant O’Bidul dont plusieurs chefs m’ont parlé… mais mon travail n’est pas terminé…et je compte bien tourner mon documentaire !

Propos recueillis par Eric Foucher