"Yvon Lambert aime les artistes, avec une attraction particulière pour ceux qui osent, les iconoclastes, les hors des voies, les écorchés. Depuis longtemps, il collectionne. Le Mucem aussi. La réunion des deux résonnait comme un rendez-vous". C’est par ces mots que Pierre-Olivier Costa, président du Mucem, révèle cette nouvelle idylle entre deux institutions majeures de l’art en Provence.
L’Exposition « Passions partagées » est sous-titrée « de Basquiat à Edith Piaf » comme pour bien montrer le caractère hétéroclite des œuvres choisies mais aussi l’aspect populaire qui permet ce tête- à-tête amoureux.
« Les deux collections se parlent désormais face à face, côte à côte, presque naturellement, presque comme des retrouvailles. Sous le soleil provençal qui est le sien, avec cette passion des autres qui en fait non seulement un grand collectionneur mais un grand homme. »
Ce grand homme, c’est Yvon Lambert, un des plus grands collectionneurs d’art contemporain au monde qui a la particularité d’être aussi discret que reconnu, une qualité devenue incongrue à l’heure de la starification sur les réseaux sociaux.
Né à Vence en 1936 d’un père chauffeur de taxi, il commence à travailler très jeune et achète sa première toile avec son premier salaire dès l’âge de quatorze ans, inspiré par les œuvres de la Fondation Mæght voisine.
Aidé par sa mère, il ouvre sa première galerie à Vence, puis à Paris avant de filer dénicher les artistes à New-York. Il comprend avant les autres que si l’Art moderne a explosé en France entre les deux guerres, c’est vers les États-Unis qu’il faudra se tourner pour découvrir les nouvelles avant-gardes dès la fin des années 50.
Il exposera ainsi avant les autres les piliers de l’art conceptuel, minimal ou du land art comme Sol LeWitt, Richard Long, Brice Marden, Robert Ryman ou Cy Twombly, tout comme les grands artistes européens tels que Daniel Buren, Christo, Gordon Matta-Clark ou Dennis Oppenheim.
Puis ce sera d’autres amitiés avec Miquel Barceló, Christian Boltanski, et Joseph Beuys au début des années 1980. Viendront ensuite Jean-Michel Basquiat, Nan Goldin, Jenny Holzer, Anselm Kiefer ou Douglas Gordon au milieu des années 80 jusqu’aux années 90.
Après avoir fermé sa galerie dans le quartier de Chelsea à NYX puis Paris, il fait un don d’environ 600 œuvres à l’état parmi les 2000 œuvres de sa collection. Une partie d’entre elles seront présentées au public à Avignon dans les hôtels de Caumont et de Montfaucon.
Aujourd’hui les pièces de sa collection représentent presque 60 années d’une histoire intime de l’art puisque l’homme a tissé avec les artistes de grandes histoire d’ amitié́.
Ainsi vous découvrirez dans l’exposition des œuvres inédites, comme cette paire de sabots rapportée d’Amsterdam par Michel Basquiat et dédicacée au galeriste avec la mention presque prémonitoire « Titanic », peu avant son naufrage dans les drogues et sa mort.
Et plutôt qu’une simple accumulation de chefs d’œuvres, les deux commissaires d’exposition ont cherché à dresser des passerelles entre les fonds.
« Le fil rouge de ce projet est l’histoire intime qu’on entretient avec les objets : que ce soit le collectionneur, le collecteur, l’artiste, le regardeur… «
« Cette exposition propose une présentation des chefs-d’œuvre de la collection Lambert vus sous un angle nouveau, au prisme des collections d’art populaire » poursuit Marie-Charlotte Calat, l’une des commissaires d’exposition, conservatrice en chef du patrimoine eu Mucem.
Quand on le questionne pour savoir ce qui a inspiré́ Yvon Lambert dans la collection du Mucem, Stéphane Ibars directeur artistique de la Collection Lambert déclare : « Parfois, certaines découvertes permettaient de renouveler le regard sur un corpus d’œuvres, d’en révéler une dimension plastique ou simplement de rappeler l’essentiel : la relation indéfectible qu’entretiennent les artistes avec leur environnement quotidien, la manière qu’ils ont d’en révéler la beauté́, d’en transformer l’expérience ».
L’exposition s’ouvre sur une photographie de Cowboy d’André Serrano, celle qui sert de visuel à l’exposition. Elle voisine avec une affiche promotionnelle de la tournée de Buffalo Bill à Marseille en 1905 au Parc Chanot.
En face, la sculpture d’un gardian camarguais, comme pour montrer que malgré la distance la Provence n’était pas si éloignée de l’ouest américain et toujours dans les racines du célèbre galeriste.
Les travaux d’artistes contemporains plus jeunes sont aussi mis en avant comme cette cabine de Nathalie Dupasquier, une œuvre comme un écrin d’autres œuvres : des projets des chapelles de Vence réalisés en 1994 par Jean-Charles Blais, Sol Lewitt, Jean-Michel Othoniel, Niele Toroni, Robert Barry à l’invitation d’Yvon Lambert qui ne verront finalement jamais le jour.
On trouve aussi à côté des certaines œuvres 21 cartels qui dialoguent avec elles. Autant de textes poétiques écrit par Ryoko Sekiguchi (née à Tokyo en 1970) qui évoquent les objets et leurs odeurs.
Par Eric Foucher