Au Mucem, au Frac et dans la Chapelle de la Vieille Charité découvrez la première rétrospective de Ghada Amer en trois volets. Grâce aux différents médiums (broderie, peinture, sculpture, céramique, photos, vidéos) qu’elle a pu utiliser dans sa carrière, résonnent ses combats féministes et politiques.
Si l’œuvre de Ghada Amer résonne si bien à l’heure du retour à l’obscurantisme de l’islam radical et des revendications des mouvements féministes post #meetoo, son engagement ne date pas d’hier et n’a rien d’opportuniste.
Née en 1963 au Caire, l’artiste déménage pour Nice avec ses parents diplomates à l’âge de 11 ans. Elle rentre plus tard à la Villa Arson pour ses études d’arts plastiques, se rend ensuite à Paris puis New-York une fois diplômée.
Aux Etats-Unis, elle se passionne pour l’expressionnisme abstrait mais réalise qu’il incarne à lui seul toute cette prédominance masculine en art au XXème siècle. C’est lors d’un voyage en Égypte son pays natal, quelle abandonne la peinture et se prend de passion pour la broderie, médium à la fois artisanal et féminin qui va incarner tous ses combats et la faire connaître.
Elle présente délibérément dans ses œuvres l’envers de l’ouvrage en laissant les fils de la broderie pendre, comme des coulures de peinture.
Ses créations interrogent majoritairement de la rôle de la femme, sa sexualité, sa place dans la société et sa vision dans la religion musulmane.
Avec souvent beaucoup d’humour, elle déconstruit l’image de celle-ci depuis l’image fantasmée de la belle odalisque à l’ère coloniale jusqu’à celle de femme soumise et privée d’éducation qu’on voudrait lui assigner dans certains pays.
Au Mucem / Fort Saint-Jean, l’exposition « Orient-Occident » travaille à déconstruire les oppositions binaires et leur position eurocentrée La première sculpture-jardin en langue arabe (« la voix de la femme est révolution ») est présentée en extérieur à côté de la passerelle.
C’est en modifiant une seule lettre qu’elle a détourné l’aphorisme traditionnel « La voix de la femme est source de honte » (phrase récurrente, ancrée dans la pensée et la culture arabo-musulmanes) en « la voix de la femme est révolution ».
« Avec cette œuvre, j’ai donc voulu inviter les gens à une prise de conscience, à réfléchir à ces idées ancrées en nous, presque malgré nous » dit-elle.
A l’intérieur du bâtiment Georges Henri Rivière on est accueilli dans un salon courbe d’apparat, une mobilier classique transformé à l’orientale sur lequel sont imprimés (papiers peints), brodés (canapés) et tissées (tapis) des textes autour des étiquettes faciles que l’on a affublées à la culture arabe ces dernières années, à la lumière de l’actualité.
Les pièces et installations suivantes parlent de dérives religieuses (voir la très belle pièce baptisé « Borqa » sur laquelle est brodé le terme « peur »), des mots innombrables pour dire l’amour, des relectures de textes fondateurs comme le Coran ou l’Encyclopédie du plaisir. C’est sans doute la section la plus personnelle de l’exposition, où l’artiste nous invite à abandonner nos préjugés sur le Proche et Moyen-Orient.
Au Frac, c’est un volet plus féministe qui est présenté. Il porte le titre « Witches and Bitches » que l’on peut traduire par « Sorcières et salopes », le deux insultes les utilisées pour rabaisser les femmes.
Cette section est celle de la colère. On y découvre un autoportrait avec trame arrière la phrase effrayante d’un télévangéliste américain sur les femmes. Ou encore une composition de quatre tableaux représentant cinq femmes au travail. Quatre y sont montrées dans des affectations domestiques, la cinquième, celle qui a réalisé le tableau, est absente comme pour mieux exprimer l’invisibilité de la femme artiste.
Pour Ghada Amer, la question de la femme transcende celle de l’appartenance culturelle ou religieuse. Résolument féministe, elle s’est emparée en peintre du médium traditionnellement féminin de la broderie. Entre hommage et revendication, ses toiles entrent en dialogue avec les « maîtres » d’une histoire de l’art trop longtemps dominée par les hommes.
A la chapelle du centre de la Vieille Charité c’est son travail de sculpteur qui est mis en avant. Elle qui a grandi à Nice a toujours aimé les céramiques de Matisse, Picasso.
Dans l’espace, on peut voir les deux côtés d’une assiette comme pour ses broderies. Elle investit le champ de la sculpture à travers installations et sculptures paysagères (Mucem), mais aussi comme ici à travers des œuvres en céramique et en bronze, récemment poussées dans le sens de la monumentalité.
Par Eric Foucher