La fève, Aurélie et Aurélien, ont croqué dedans dans un pays qui entend bien devenir le nouveau roi du cacao. Et le couple de jeunes trentenaires de découvrir qu’ils ne connaissaient rien à cet autre or noir que l’on déguste presque tous les jours. Un an après, deux projets sont nés de leur passion commune. Les enfants naîtraient-ils dans des cabosses ?
– Comment est née votre histoire d’amour avec le chocolat ?
Après avoir quitté nos boulots respectifs à Paris on avait envie de voyage. On a noté chacun sur un papier les trois destinations qui nous faisaient le plus envie et la Colombie est revenue chez tous les deux. On a donc décidé de faire un job en volontariat bénévole là-bas, dans une plantation de café. Une plantation de cacao était voisine de celle-ci. En croquant dans des fèves de cacao dans la Sierra Nevada Santa Marta (le plus haut massif côtier du monde là où vivent les indiens kogis), on a réalisé que l’on mangeait du chocolat en France presque tous les jours mais que l’on n’en connaissait rien de sa culture et de sa fabrication.
– On savait que le Colombie était un grand producteur de café, moins de cacao…
Après le démantèlement de cartels et l’arrêt de la guerre, le gouvernement a encouragé la culture du cacao en substitution de la coca de laquelle de nombreux paysans étaient tributaires pour vivre. La qualité ne fait que s’améliorer et ils ont raflé pas mal de prix au dernier salon du chocolat.
– Comment avez-vous choisi vos fournisseurs ?
On voulait travailler des crus assez différents. Alors on est partis à la rencontre de producteurs dans trois terroirs différents qui correspondant à des régions et des climats différents en Colombie. On s’en entendu sur une qualité et une taille de fève qu’on leur paie plus cher que les deux grossistes qui occupent le marché. C’est la première fois qu’ils exportaient en dehors de leur frontière. Ils étaient très contents de savoir que leurs fèves seraient transformées pour en faire du chocolat de qualité.
-Les différences de goûts entre terroirs sont-elles vraiment notables ?
Oui c’est comme pour un terroir et la vigne. A Tumaco sur la côte pacifique, les fèves ont un goût iodé. A Arauca, un goût plus acidulé et citrique et à Cordoba plus rond, boisé et fruité.
– Quand avez-vous décidé d’en faire votre activité ?
On s’est rendu compte qu’il y a avait très peu de fabriquants de chocolat en France. Quelques-uns à Paris mais très peu dans le sud de la France. Aurélie est de Strasbourg mais moi je suis originaire d’Aix. Alors on a décidé de se lancer à Marseille. Il n’existe pas vraiment de formation. On a appris sur le tas en compagnie d’une américaine qui fabriquait du chocolat à côté des plantations où nous travaillions.
– En quoi consiste le métier de cacao-févier?
Les fèves qui ont fermenté et séché au soleil sont envoyées en sacs. On les trie pour ôter celles qui sont cassées ou collées puis viennent les étapes de la fabrication elle-même avec les différentes machines. Elles sont torréfiées dans le four, concassées, vannées (i.e : la peau de la fève ou du gruet est ôtée). Vient ensuite le passage au grinder qui donne une pâte de cacao. L’aspect gluant vient du fait qu’il y a 50% de beurre et 50 % de poudre dans une fève. Puis la pâte tourne entre 12 et 48 heures dans la conche autour d’une meule de pierre avec du beurre de cacao et du sucre (pas de lécithine, gluten, colorant ou autre). Vient ensuite la dernière étape dans la fabrication, la plus délicate, qui consiste à tempérer le chocolat afin qu’il soit brillant et cassant, et non pas mou et terne comme lorsqu’il est raté.
– Quelle différence avec un maître-chocolatier ?
Il commence au tempérage là où nous terminons. Il n’a pas toutes ces machines qui travaillent la fève mais d’autres comme des enrobeuses qui jouent avec la pâte de cacao. Ce sont deux métiers complémentaires.
– Comment s’est passée l’installation au milieu de la rue paradis ?
On a travaillé d’arrache-pied avec la volonté d’expliquer au maximum notre activité. On a décidé de rendre visible le labo à nos clients mais aussi d’être assez pédagogiques au sein de la boutique quant au process de fabrication qui intéresse également les scolaires.
– Un an seulement après votre rencontre avec cette matière brute, quel est le premier bilan?
Très positif. Cette matière nous permet de rencontrer des professionnels (chocolatiers, pâtissier, épiciers) comme les particuliers qui viennent à notre boutique. Au delà du produit cela nous permet de toucher à un pan de la gastronomie. Nous avons tout de suite été bien accueillis dans le quartier. La clientèle nous fait part de remarques et nous suggère des recettes. Nous avons par exemple produit du chocolat 100% de cacao (le nôtre fait 76 %) et du chocolat cru (avec du cacao non torréfie). Nous avons produit aussi du chocolat blanc au thé matcha avec du beurre de cacao du Venezuela. On peut faire un peu ce qu’on veut selon notre inspiration.
– Vous limitez-vous au cacao de Colombie ?
Dans un premier temps oui , car c’est le seul dont nous connaissons les producteurs. Mais on espère développer d’autres collections dans le futur avec des fèves de Madagascar, Vietnam, Côte d’Ivoire. Visiter ces pays et découvrir de nouveaux terroirs c’est aussi ce qui fait l’intérêt de ce travail 🙂
(Propos recueillis par Eric Foucher)
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