Quoi ? : Ecrivain et réalisateur
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Aussi à l'aise avec l'image qu'avec les mots, complice de l'époque sans en être dupe, Hadrien Bels s'est fait sa place dans le monde des lettres dès son premier roman Cinq dans tes Yeux. Avec Tibi la Blanche, il déplace la scène au Sénégal mais parle toujours aussi bien d'une jeunesse que les réseaux sociaux voudraient formater.

Nous avions prévu de soumettre à la question Hadrien Bels il y a bien longtemps. Mais la pléthore d’articles élogieux et mérités déjà publiés à son encontre pour 5 dans tes Yeux nous en avait dissuadés. Fallait-il en rajouter un de plus ? Bien nous en a pris car l’annonce de la sortie le 18 août de ce second roman, Tibi la Blanche était l’occasion rêvée pour rencontrer celui qui, après la jeunesse marseillaise des 90’s décrit mieux que personne les rêves et les tiraillements de la jeunesse dakaroise d’aujourd’hui. Écrivain sur le tard et hors du cénacle du petit monde des lettres, Hadrien Bels apporte un regard neuf et un style singulier qui nous font vivre les scènes au plus près des personnages. Le hasard faisant bien les choses, c’est devant le Champ de Mars tenu par Souleyman, figure d’origine du Cours Ju’ d’origine sénégalaise que le rencontre a eu lieu. 

 

Tu as publié ton premier ouvrage assez tard. Quel a été pour toi le déclic de l’écriture et de l’envie de t’affirmer en tant qu’auteur ?

Je n’ai jamais vraiment pensé à être auteur. J’écrivais des choses courtes. Des scènes de vie. Des choses que j’avais vécu. Le déclic a été la rencontre avec mon éditrice, Sylvie Gracia (éditions L’Iconoclaste, ndlr), lors d’un atelier d’écriture à Tanger.

Comment gère-t-on le succès d’un premier ouvrage (l’exercice de la promo, la fin d’un certain anonymat, etc.) quand on ne s’y attend pas forcément ?

Quand on écrit un livre, on ne s’imagine pas qu’on va devoir en parler autant. Mais c’est aussi des super moments qui te permettent de comprendre des choses sur ta propre écriture. A Marseille, il m’arrive que des personnes viennent vers moi. Surtout en soirée. C’est toujours un plaisir. Mais je te rassure, je suis encore un anonyme. Je ne suis pas encore le Houellebecq marseillais 😉

Un second roman après un succès est toujours attendu au tournant. Ressens-tu la pression (critique littéraire, prix de la rentrée, etc.) ?

Énorme pression ! Surtout que je choisi de partir de Marseille pour ce deuxième roman. A la sortie d’un deuxième, on n’a plus conscience des enjeux commerciaux et médiatiques. Et puis on est à la fois très attendu mais on a également moins d’éclairage que les premiers romans par exemple.

Comment t’es venue l’idée de ce nouveau roman? 

Au départ, c’est surtout l’envie de partir à Dakar qui est ma seconde ville de cœur. Et de parler de cette relation longue et parfois compliquée entre le Sénégal et la France.

Raconte-nous son process de rédaction. Le principe de résidence  comme celles effectuées à la Marelle (La Ciotat) ou à la fondation Camargo (Cassis) est-il maintenant de plus en plus nécessaire à l’heure de l’ultra-connexion ?

Pour moi c’est important de m’isoler. Comme beaucoup de gens aujourd’hui,  je suis hyper connecté et vraiment j’ai besoin de partir.

Je compare souvent l’écriture à un décor que l’on créé et dans lequel on aime se perdre. Finir un livre, c’est sortir de son monde. Et c’est parfois douloureux de le quitter.

Comment concilier le temps long de la rédaction et l’immédiateté exigée par les réseaux sociaux ? 

Les réseaux sociaux nous abreuvent. Pour un auteur, il y a des matériaux de fou.  Entre les prises de positions politiques et les photos de vacances, y’a de quoi faire, même si c’est ce que les gens veulent bien montrer d’eux même…

Et puis même quand les choses nous énervent, je trouve que c’est important de les regarder, de savoir qu’elles existent. Le plus difficile, c’est de garder la distance.

Comme le Marseille d’il y 25 ans était le décor de Cinq dans tes Yeux, c’est le Dakar d’aujourd’hui qui sert de toile de fond à Tibi la blanche? Quel est ton rapport avec cette ville que tu sembles très bien connaître?

Je connais surtout une certaine banlieue de Dakar, parce qu’une partie de ma famille y habite.  Comme Marseille, Dakar bouillonne. Cette ville est une forme vivante qui bouge et se transforme sans arrêt.

Dakar est une ville où les gens vivent dehors. Une ville cinéma, comme Marseille.

Existe-t-il des ponts entre ces deux jeunesses à 25 ans et 5000 km de distances ? 

On en revient aux réseaux sociaux. L’accès à la musique, le style vestimentaire, les influences audiovisuelles a homogénéisé une certaine culture. Mais au Sénégal, il y a un ancrage culturel beaucoup plus fort qu’ici en France. Mais la jeunesse reste la même partout. Elle se permet encore de rêver de liberté.

Dans Cinq dans tes yeux, on sent la jeunesse marseillaise inquiète de se faire déposséder par les « venants ». Dans Tibi la Blanche, elle souhaite liquider le passé colonialiste. Mais dans les deux cas, on sent une espèce de malaise, le cul entre deux chaises … 

Oui dans Tibi c’est le départ, quitter sa famille, sa culture, son pays, sans pour autant trahir.  Cette jeunesse Dakaroise que je décris est tiraillée par son ancrage familiale et culturel et son envie de partir vivre sa vie, sans avoir à rendre de compte.

 Il n’y a rien de misérabiliste dans vos descriptions de Marseille ou Dakar, souvent même une forme d’autocritique dans l’ironie avec laquelle les personnages parlent d’eux-mêmes ?

J’aime ces villes populaires. Elles ont des choses à raconter et à dire.

Je crois que c’est aussi ça qui fait que Marseille est une ville qui intrigue et attire. Parce qu’elle te bouscule et ouvre grand sa bouche.

Mais c’est aussi des villes drôles, avec un sens de l’ironie et de l’autodérision. Une forme de pudeur pour cacher sa tristesse.

Quel lecteur es-tu ? Régulier, occasionnel, nouveautés ou classiques ?  Des auteurs qui t’ont marqué ?

J’essaie de toujours lire. Plusieurs choses à la fois et des choses très différentes. De la poésie ou des classiques que je n’ai jamais lu, des nouveautés aussi. Je peux aller vers une littérature très différente de ce que je fais. Et puis maintenant que j’écris ça m’intéresse encore plus de voir comment un auteur monte ses histoires ou ses récits, comment il nous embarque ou nous déçoit.

A la lecture de Cinq dans tes yeux ou de Tibi la blanche, on se fait facilement son cinéma. Des adaptations prévues ou en cours pour le grand écran sur ces deux romans ?

Oui, j’écris beaucoup en essayant de visualiser. Je suis toujours à la recherche de sensations. Tu vas peut-être te moquer mais il m’est arrivé de pleurer en écrivant certaines scènes.

J’ai beaucoup pensé en terme de montage ciné dans la manière dont j’ai construit mes deux romans. Cinq dans tes yeux est en cours d’adaptation.

Je co-scénarise avec le réalisateur Pascal Tessaud et le producteur Manuel Chiche. Pour Tibi, c’est encore trop tôt. En général, si elle vient, une proposition d’adaptation vient un an ou deux après la sortie du livre.

As-tu commencé à travailler sur un troisième ouvrage ? 

Je commence à penser à des ambiances, des univers. Il y aura probablement un retour à la maison, à Marseille. Mais pas sûr. Peut-être aussi une autre forme que le roman. Peut-être que je ferais escale dans une autres ville avant de revenir à Marseille.

Tu vois, ça fait beaucoup de peut-être 🙂

Propos recueillis par Eric Foucher 

>> Tibi la Blanche (Ed.L’iconoclate) 256 PAGES 20 € en librairie