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Avec des couleurs éclatantes, Emilie Seto dessine Marseille côté coulisses, loin des plages paradisiaques et des couchers de soleil. Routes absurdes, quartiers abandonnés, urbanisme improbable : à coup de crayons, elle raconte le chaos marseillais. Rencontre.

 

Jeune illustratrice de presse, Emilie Seto a quitté Lyon pour Marseille il y a quelques années. C’est en explorant à pieds sa nouvelle ville qu’elle a été fascinée par ces paysages urbains improbables dont Marseille a le secret : des immeubles qui se dressent n’importe où, des terrains vagues avec vue sur Calanques, et bien sûr, des stades de foot à tous les coins de rue. La cité phocéenne est alors devenu son sujet de prédilection : à travers ses dessins, elle nous raconte ses balades du nord au sud, bien loin du centre et des images cartes postales. De ses premiers mangas à son style éclatant d’aujourd’hui, elle raconte son parcours.

Comment tu es arrivée au dessin ?

Quand j’étais petite, je lisais beaucoup de mangas : comme je suis à moitié japonaise, je trouvais ça classe, je m’identifiais aux dessinateurs. Du coup, je me suis mise à dessiner avec ce style. En grandissant, j’ai changé de style, j’ai plus ou moins dessiné… Mais je suis toujours revenue au dessin. C’est après le lycée que je me suis lancée : j’ai intégré une école d’illustration, puis j’ai commencé à travailler pour la presse – notamment CQFD, à Marseille. Donc je dirais que l’envie de travailler dans le dessin est venue petit à petit, comme mon style actuel, qui est un déclic que j’ai eu il y a quelques années.

Tu es née à Lyon : pourquoi avoir changé pour Marseille ?

En 2018, j’ai eu envie de changer de ville – entre autres parce que financièrement, Lyon, pour un illustrateur débutant, c’est compliqué… Pourquoi Marseille ? Une sorte de hasard : je voulais habiter dans une grande ville, j’avais quelques amis à Marseille, j’avais cette impression que c’était immense… J’aimais le fait que ce soit différent de Lyon.

Tu es connue pour tes dessins hyper colorés de Marseille – qui sont ton travail personnel. Qu’est ce qui t’a inspirée dans cette ville ?

Depuis toujours, j’aime explorer.  Je pars à pieds, et ça me permet de traverser des endroits que je ne connais pas, auxquels je ne m’attends pas. Quand j’ai commencé à me balader à Marseille, j’ai découvert tellement d’endroits absurdes, qui m’ont sidérée… Si tu prends juste la passerelle de Plombière, par exemple, c’est un endroit dingue !

L’urbanisme marseillais est fou : tu as des immeubles très bas, ce qui fait que tu as facilement des vues dégagées. Tu tombes vite sur des friches, avec en fond des grandes tours, du relief, parfois les Calanques derrière… Et tout change d’une rue à l’autre : tu es dans un quartier quelconque, et d’un coup il y a plein de petites maisons et une vue de fou…

Marseille surprend : ce sont toutes ces absurdités urbanistiques qui m’ont fait dessiner, je pense. La mer, le côté majestueux, on connait. Mais ces endroits-là, non.

Quand tu as posté tes premiers dessins de Marseille sur les réseaux sociaux, en 2020, ils ont tout de suite fait réagir…

C’est quand je les ai postés que j’ai compris à quel point les Marseillais étaient attachés à leur ville, à leur quartier. Les gens reconnaissaient la rue et m’écrivaient des messages : « c’est génial, j’ai vécu là pendant 15 ans »… Et petit à petit, ce sont ces dessins qui m’ont permis aussi de rencontrer des natifs, des journalistes, ou des gens qui sont là depuis plusieurs années.

Grâce à ça, j’ai vécu plein d’expériences : je suis allée voir des enfants s’entrainer au rugby au stade Roger Couderec avec Philippe Pujol, pour illustrer un article. J’ai aussi été invitée à des fêtes de quartier dans les quartiers Nord, j’ai assisté à un match OM/OL au Vélodrome… Tout ça, ce sont des choses que je n’aurais pas faites sans mes dessins, avec des gens que je n’aurais pas forcément rencontrés. Ce mouvement, ça m’intéresse : moi qui dessine, eux qui répondent.

Comment tu travailles ?

Souvent, je travaille d’après photos : je prends des photos, j’en fais un collage mental, et je rajoute parfois une voiture, des personnages. Pour les couleurs, je travaille au crayon. Pour moi, c’est le plus important : je considère que je ne suis pas très bonne en dessin, alors la couleur, c’est ma poudre aux yeux !

Et ton style un peu « chaotique » comme tu l’appelles, comment il est venu ?

En dessin, techniquement, je suis mauvaise. La perspective, l’anatomie… Intellectuellement je sais comment ça marche mais j’ai du mal à l’appliquer. La seule chose que je maîtrise bien, c’est la couleur.
Du coup, je pense qu’entre le fait que je ne soit pas très douée en perspective, et le fait qu’ici l’architecture soit un peu chaotique… Il y a sûrement eu une rencontre !

Tu dessines beaucoup d’endroits abandonnés, ou en tout cas peu connus… Qu’est ce qui t’inspire dans ce genre de lieu ?

Je dessine avant tout des vues qui me scotchent. Au nord, dans le 13e, le 14e, mais aussi au sud par exemple, vers Perrier, il y a des endroits magnifiques dans lesquels il n’y a personne : juste moi, quelques ouvriers, des voitures et du bruit… C’est hyper étrange.

Mais c’est vrai que je dessine beaucoup l’abandon. Quand tu vois la passerelle de l’A7, sous laquelle – littéralement – des gens vivent… C’est d’une violence ! Alors je dessine, même si ça m’interroge parfois sur ma place. Car je ne veux pas rendre la misère exotique ou belle. Il y a d’ailleurs des endroits que je m’interdis de dessiner, car c’est justement très violent d’esthétiser cette misère : Les Rosiers, Kalliste…

Tu ne te limites pas à l’illustration. Tu as par exemple fait une petite BD sur la L2 pour le supplément Manière de voir du Monde Diplomatique, et plus récemment tu as écrit et illustré une chronique estivale sur « le Marseille de la frime et du clinquant » pour Marsactu. Pourquoi ce besoin de raconter la ville ?

Les Marseillais parlent beaucoup de Marseille, de la manière dont ça change. Je pense qu’après les effondrements de la rue d’Aubagne, je n’avais pas envie d’être là juste pour consommer, dire qu’il y a des plages et que c’est beau, aller à Malmousque, et basta.

Marseille est à la mode, et on voit des gens qui ne sont là que pour consommer le peu, en réalité, qu’il y a à consommer ici, sans se soucier du reste… Qui vont rue d’Aubagne parce que c’est la hype, et à côté, deux immeubles se sont effondrés.

Par opposition à ça, j’ai envie de comprendre et de raconter ce qu’il se passe à Marseille. C’est social, c’est politique.

En dehors de ce travail personnel, tu as fait une exposition à Reims, tu travailles beaucoup avec la presse (y compris internationale, avec le Financial Times !)… C’est quoi, tes projets ou tes envies futurs ?

À Reims, c’était ma première vraie expo : j’ai fait une résidence d’une semaine là-bas et produit 40 dessins, en quelques mois. À Marseille, j’aimerais bien exposer dans un lieu culturel aussi – mais je n’ai pas envie de vendre mes dessins : pour le moment, j’y suis hyper attachée. Je suis aussi en train de produire, en auto-édition, un recueil de dessins dans lequel on trouve quelques textes.

Après, côté presse, je travaille pas mal. Bien sûr, comme tout illustrateur, j’aimerais bien publier dans le New York Times… Peut-être que ça arrivera ! Et mon rêve, ce serait de travailler pour le Japon. Ils sont très forts dans tout ce qui est graphisme, dessin… Être reconnue là-bas, ce serait la consécration !

Toi qui connais Marseille sous toutes les coutures, quels endroits tu conseilles pour se balader, chiller, manger ?

Pour me balader, j’aime bien explorer le 13ème arrondissement, un peu après Saint-Just. Un autre endroit que j’adore est la colline de la Nerthe. Il y a un mélange de nature et de voitures échouées, c’est à la fois magnifique et complètement abandonné. Pour juste me poser et ne rien faire, je vais souvent sur les remparts du Mucem ou au cimetière Saint-Pierre.

Pour me baigner, j’aime bien la plage de Carro, ou Corbières. Et je vais souvent aux Catalans. C’est une plage un peu méprisée, les hipsters vont à Malmousque… Mais j’aime bien, car c’est la plage comme on se l’imagine quand on est petit, avec le sable, et tout !

Côté restaurants, ce n’est pas trop mon truc : je préfère acheter à emporter et aller m’asseoir quelque part. Mais si je dois citer un endroit, il y a une épicerie à Sébastopol [Rendez-vous] que j’adore, qui fait des produits arméniens et libanais. Et pour boire un thé, j’aime bien le Turkish baklava sur le cours Belsunce et son décor clinquant.

Propos recueillis par Julie Desbiolles
Photos : Couverture : JD / Autres : Emilie Seto (Twitter, Instagram)