Cette exposition passionnante met en scène des œuvres collectives et interroge le passage du "je" au "nous" dans l'acte de création. Depuis Verlaine et Rimbaud durant la Commune de Paris jusqu'aux Guerrillas Girls ou aux Nouveaux Sauvages, en passant bien sûr par les œuvres dadaistes et surréalistes, elles sont nombreuses et documentées à travers leur force poétique, politique et subversive.
Les œuvres collectives ont existé de tout temps. Mais Jean-Jacques Lebel (artiste plasticien, écrivain, créateur de manifestations artistiques) et Blandine Chavanne, (conservatrice générale du patrimoine), les commissaires de l’exposition ont tenu à borner leur exposition en ne présentant que les travaux d’amitiés de circonstance (celle d’un projet artistique) plutôt que les œuvres de couples et de collectifs d’artistes déjà constitués.
Et puisqu’il fallait bien un début, ils l’ont situé lors de la Commune de Paris, en 1871, lorsqu’une dizaine de poètes dont Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Charles Cros, Germain Nouveau et André Gill se sont réunis autour d’un projet commun à l’Hôtel des Étrangers, dans le Quartier Latin. Avec texte et dessins sans forme prédéfinie, l’Album Zutique était né qui fut une des premières et des plus importantes œuvres collectives annonciatrices de l’esprit moderne en Europe.
A défaut de vouloir trouver des réponses sur ce qui motive des artistes à vouloir collaborer autour d’un même projet en effaçant leur identité derrière le collectif, ils ont souhaité introduire une réflexion sur le processus de création des œuvres.
Sémiologues, philosophes, historiens de l’art, musicologues se sont penchés sur la question dans le catalogue de l’exposition très fourni. De la même façon, l’exposition ne se borne pas aux œuvres plastiques mais interroge aussi la littérature ou la musique, dont le Free jazz qui incarne bien cette liberté de pouvoir intervenir dans un canevas proposé par d’autres.
Est-ce important de savoir qui a fait quoi dans une œuvre collective ? L’intérêt de l’œuvre dépend-elle de la qualité de la relation qu’ont les artistes entre eux ? Comment calculer la valeur marchande d’une œuvre collaborative et la rémunération de ceux qui y ont participé Autant de questions soulevées, parfois sans réponse, mais illustrées avec des documents historiques parfois célèbres (les cadavres exquis des surréalistes, le manifeste des 121 pendant la guerre d’Algérie) parfois moins comme « le Sonnet du trou du cul » de Verlaine et Rimbaud, ou le Grand Tableau antifasciste collectif peint à l’initiative de Jean-Jacques Lebel lui-même pour dénoncer le colonialisme, la guerre en Algérie, le viol et la torture de Djamila Boupacha sur laquelle Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi écriront un livre dont la couverture est illustrée par Picasso.
De Picasso à Picabia, de Gabrielle Buffet à Arp, de Hains à Bryen ou Villeglé, de Matta à Brauner, de Brecht à Filliou, de Beuys à Paik, de Salomé à Fetting, de Camilla Adami à Peter Saul, de Klein à Saint-Phalle et Tinguely, de Spoerri à Kaprow, de McCarthy à Rhoades, de Roth à Rainer, de Burroughs à Gysin, de Pommereulle à Fleischer (sans oublier les différentes formes d’art-action, dont le happening), il faut naviguer parmi les 117 œuvres réunies et leurs époques. Elles ont bien souvent valeur de revendication et tirent leur puissance de la fédération des énergies individuelles.
Comme Bernard Heidsieck déclarant en 1967 que « la poésie écrite n’a plus lieu d’être (…) et doit se hisser hors de la page en utilisant les moyens de « circulation actuelle » comme le disque, la suite de cette expo reste à écrire. Il faudra bien interroger ce que devient la création collective dans l’univers dématérialisé et ce qu’il reste de la notion de copyright dans le Metaverse ou les NFT.
Par Eric Foucher