Ses jeux chromiques de superpositions de formes et de structures ont transformé une partie de l’espace urbain marseillais. A la veille du solo show de Yannick Martin nous avons tenté de décrypter ce nouvel alphabet en sa compagnie.
Sans le savoir, vous avez sans doute déjà été le spectateur d’une des créations de Yannick Martin alias Wha-t. Un univers architecturé et répétitif sur des murs, des escaliers ou même des verrières qui a soufflé un vent nouveau sur le street-art marseillais, saturé de graffiti sans âme et malheureusement souvent aussi sans originalité. Diplômé en 2009 de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille, il s’est servi de son expérience d’architecte puis de réalisateur pour expérimenter de nouvelles narrations dans le paysage urbain en créant ses propres alphabets. Vous les avez peut-être foulés en grimpant l’escalier menant au cours Julien ou avez tenté de les déchiffrer sur les murs d’un tunnel. Entre sculptures, illustrations, design, peinture et fresques, nous avons cherché à en savoir plus sur son travail. À la veille d’un solo show dans l’espace Urban Gallery à Marseille, il nous a présenté son dernier projet « What the heck » en compagnie du collectif bulgare Visionary Fondation.
Tu es diplômé d’architecture ? Que t’a apporté cette formation dans ton parcours d’artiste ?
Ma formation architecturale m’a apporté une manière de considérer et de visionner l’espace, de travailler avec cette spatialité et répondre aux contraintes ou situations qu’elle génère.
Elle a également amorcé la façon avec laquelle j’essaie de développer l’univers visuel présent dans mes œuvres. À la suite de l’architecture, mon travail en tant que réalisateur pendant 5 ans, en collaboration avec mon frère Niko, a également contribué à cela. Je suis toujours très fier des projets qu’on a pu faire ensemble, notamment notre clip filmé en Inde pour le morceau « Partir ou Rester » de Brigitte Fontaine et Philippe Katerine. Quelle histoire !
Dans tes créations de street artist, est-ce le décor qui t’inspire une création ou bien souhaites-tu au contraire transfigurer un lieu en lui plaquant une nouvelle peau ?
Cela peut-être les deux, mais je dirais que principalement ce qui m’importe est de créer une immersion visuelle énigmatique et ludique. Comme le dis l’architecte Rem Koolhass « fuck the context ». Cela est évidement une provocation de manière à intégrer le contexte tout en s’en libérant, en vue de potentialités de projet éventuellement accrus.
Le milieu du graffiti fonctionne souvent en collectif. Tu as pour ta part plus une approche individuelle avec des collabs ponctuelle… Pour être plus libre ?
Je dirais qu’il m’importe de développer un univers singulier et de choisir mes collaborations en cohérence (ou dissonance d’ailleurs) avec mon approche visuelle, de manière à servir le projet en effet.
Qu’est-ce qui t’importait le plus en commençant à faire de l’art mural : laisser une trace, « valoriser » un lieu, ou inventer un nouvel alphabet urbain ?
L’idée première était d’explorer mon travail à grande échelle en poursuivant cette recherche d’un langage pouvant prendre l’apparence d’un alphabet. Cela me conduit aujourd’hui à vouloir construire des installations, sculptures ou de structures tridimensionnelles, plus grandes encore, plus immersives ou déconcertantes.
D’où te vient ta passion des signes et des symboles ?
J’ai toujours, aussi loin que je me souvienne, été intéressé par la communication, le langage, les perceptions, la compréhension que l’on a (ou pas) des choses, objets, images qui nous entoure.
Cela me permet de ne pas prendre comme acquis ce que ma rétine reçoit et de questionner, à la manière d’un enfant qui découvre pour la première fois, les éléments qui nous sont donnés. Cela fait encore lien avec l’origine des signes apposés dans les grottes à l’ère préhistorique, et le travail que j’affectionne chez Basquiat et Keith Haring par exemple. Une sorte de recherche de sens et d’émulation par la production de structures épurées à la manière de codes à déchiffrer.
Que penses-tu de la scène street-art marseillais et quels sont les artistes dont tu aimes les créations?
En débutant mon travail d’Artiste à Marseille je me suis demandé si j’étais au bon endroit, car mon univers visuelle contemporain semblait en dissonance avec les artistes plus proche du graffiti et que l’on retrouve beaucoup à Marseille, ainsi que de ceux plus traditionnels. En considérant cela je n’étais pas du tout sure de pouvoir développer mon travail ici. Cependant j’y suis depuis de nombreuses années et il me plaisait de travailler dans cette ville. Il y a une énergie créative incroyable, avec de nombreux artistes très talentueux. Je suis très heureux de pouvoir contribuer à la scène artistique Marseillaise. Je citerais un artiste que j’affectionne particulière, Hugo Villaspasa dont le travail est absolument éblouissant, et le Lithographe Joél Ramos avec son atelier « Les Animals ». Tous deux sont des personnes réellement inspirantes et aujourd’hui de grands amis.
Que t’offre Marseille que ne t’offre pas d’autres villes ?
Comme je dis souvent, Marseille est une ville ou rien ne marche comme il faut, et ou pourtant tout marche quand même :). Un bordel qui fonctionne à sa manière. S’ajoute à cela une forte mixité, une richesse culturelle débordante que de nombreuses villes envies à Marseille.
Cette ville m’offre ces limites brisées et cet aspect en chantier dont j’ai besoin pour créer, avec une multitude de cultures, de regards et de langues. Une ville où tout est possible, ou presque.
Tu déclines tes formes sur de nombreux supports (textiles, céramiques, verre, etc). L’exploration fait partie du process ?
Totalement, c’est même la plus grande partie de mon travail. Il n’y a finalement que peu d’œuvres qui sont partagées en comparaison de celles vouées à l’expérimentation. Développer cet univers visuel sur d’autres médias me permet en outre de chalenger mon travail, de découvrir de nouvelles perspectives, aspects, techniques…
Apprécies-tu la contrainte d’un travail de commande ? Quel a été celui qui a été le plus compliqué en termes de réalisation ?
La contrainte est inévitable, qu’elle soit lors de commande ou de productions indépendantes. Elle fait partie du « jeu » et sert le projet. Chaque projet intègre ainsi différents types de contraintes. Celui réalisé avec META2 pour l’espace Kleber à Marseille fût ainsi particulièrement intéressant pour moi. Il devait intégrer des ateliers préalables à la fresque, de manière à inviter les usagers du centre social à produire des symboles épurés tels que j’allais ensuite les assembler pour la fresque. Il faisait appel à mon background architectural afin de composer une peinture sur un bâtiment complexe, avec des ouvertures à diverses hauteurs, des angles, des porte-à-faux, des points de vues variés. Il allait me permettre de faire des clins d’œil graphiques à certains des artistes qui m’inspirent, tout à intégrant l’aphorisme que j’aurais aimé un jours citer si j’avais poursuivi dans l’architecture: Less is More – Mies Van Der Rohe / Less is Bore – Robert Venturi / Yes is More – Bjarke Ingels. J’ai appelé mon projet « More or Less » (inscrit au milieu des symboles sur la façade), avec le souhait de désacralisation, d’idée d’accessibilité de l’art ou de l’architecture, de volonté de considérer les différents points de vues et situations. Une manière en somme d’invoquer l’architecture et de m’amuser, une fois de plus.
Un projet que tu aimerais réaliser plus que tout dans le futur ?
Clairement, il me plairait de changer à nouveau d’échelle et de rejoindre plus encore le domaine de l’architecture. J’aimerais faire cela par la construction d’énormes structures pouvant parfois prendre l’apparence de pavillon, de squelettes habitables ou traversables.
Propos recueillis par Eric Foucher