Son univers pop et millénariste décliné en collages photographiques et vidéos ont fait le tour de la toile. Malgré un style bien à elle, impossible pour autant de ranger Juliet Casella dans une case. On pourra néanmoins tenter de résoudre quelques énigmes de cette insatiable touche-à-tout en visitant son atelier.
Elle est peintre, réalisatrice et aurait sans doute pu être modèle tant la pose semble naturelle chez elle. Son atelier chez Artagon dans le quartier de Sainte Marthe à Marseille ressemble à un vaste loft baigné de la lumière du sud. Des toiles à divers états d’avancement sont posées ici et là à côté de bombes, ciseaux, magazines, sofa et téléviseurs vintage. Au milieu des courants artistiques qui se clonent, elle a réussi à se créer une esthétique reconnaissable entre toutes. Celle qui a grandi avec l’explosion d’internet recrache en copier-coller des images où se télescopent les contraires : l’amour et la violence, le feu et l’eau, la haine et la tolérance, etc. Une esthétique millénariste figée sur toile ou bien animée dans des petits clips que s’arrachent le milieu de la mode, soucieux d’être le miroir de son temps. Entre des collaborations stylés pour des magazines, des clips inspirés pour divers artistes (Miossec, Killa, Feu Chaterton, Lola le Lann, ou plus dernièrement ou encore Metronomy) elle joue de l’acrylique pour représenter sur toile l’hyperréalité. Au moment de partir pour Londres réaliser des clips pour la marque MIISTA, elle se confie sur son travail de création et sa représentation d’une société du spectacle 2.0 ?
Ton atelier ressemble à un loft à vivre. C’est important de te créer un univers familier ?
Je suis tout le temps dans mon atelier, beaucoup plus que chez moi d’ailleurs. C’est donc important pour moi de m’y sentir bien, que ce soit autant un lieu de production qu’un lieu dans lequel je peux me reposer et penser.
A l’image de tes collages, ton imagination peut partir dans tous les sens et sur tous les supports. Est-ce par ce que tu as réussi à faire des troubles de l’attention une force ?
J’ai besoin de me concentrer sur plusieurs choses à la fois pour être efficace, et pour moi c’est presque une évidence d’explorer tous les médiums.
M’arrêter à un seul médium, ce serait un peu comme si j’avais une dizaine de jeux en face de moi, et que je devais n’en choisir qu’un seul pour toute la vie.
Je pense donc que cette façon de produire liée à mes problèmes d’attention me permet au final de constamment me renouveler.
Le motif de l’enfance est omniprésent. Comment était la tienne dans le Var et comment a-t-elle nourri tes créations ?
J’ai grandi comme dans une bulle, dans la nature. Mon enfance c’était un mélange de la petite maison dans la prairie et d’un film de Pagnol. J’étais très loin de la réalité de la vie.
Le passage à la vie adulte a été très violent pour moi et ça se ressent dans mon travail. J’oppose sans cesse cette figure de l’innocence à la violence de la réalité.
J’invoque une période que j’aimerais retrouver, comme nostalgique, et j’érige l’enfant au rang du sauveur qui pourrait libérer les maux du monde.
Les couleurs flashy et l’esthétique lo-fi font davantage penser aux débuts d’internet, des premiers réseaux sociaux (myspace) qu’aux interfaces ultra-léchées et techniques d’aujourd’hui. Les 90’s et 2000 sont une période qui t’inspire ?
J’ai grandi avec internet, j’ai vu ses premiers pas, et il a vu les miens. Au début internet, c’était une explosion de liberté pour moi, il n’y avait aucune règle, cela laissait aussi place à des débordements, mais c’était un espace de non-droit et c’était assez fou d’y assister. C’était super stimulant, c’est une période qui a beaucoup influencé mon travail.
J’adore toujours internet, mais maintenant le contrôle a été pris, un flot d’algorithmes, de censures, de réglementations.
Comment as-tu vécu l’expérience Artagon et que t’a-t-elle apportée ?
C’était une super aventure, j’ai surtout créé des liens profonds avec l’équipe qui s’est occupée de nous avec beaucoup de bienveillance, et j’ai rencontré beaucoup d’artistes qui ont été des moteurs pour ma production. On va d’ailleurs ouvrir un nouveau lieu ensemble début 2023.
As-tu le sentiment d’un engagement (féminisme, post-colonialisme, pacifisme) à travers tes créations ?
Comme je m’intéresse à tous les médiums, je m’intéresse également à tout ce qui m’entoure.
J’éponge les informations, et c’est assez indigeste. Il faut que j’évacue ça et donc je l’exprime dans mon travail.
En travaillant le flux d’images constant, mes œuvres convoquent forcément l’actualité. Je trouve ça très compliqué en 2022 de ne pas engager son travail en tant qu’artiste, je pense qu’on a un rôle important à jouer.
Tu as une relation très décomplexée à l’argent et prête tes talents à de nombreuses marques. Est-ce le prix de ta liberté ?
J’ai surtout une relation complexe avec le fait d’arriver à survivre en tant qu’artiste.
La réalité d’un artiste, ce n’est pas les strass et les paillettes, mais plutôt les galères d’argent et les paquets de pâtes.
La mode m’a ouvert ses portes très jeune en me proposant de nombreuses collaborations qui m’ont permis de vivre et surtout de continuer à produire. J’ai collaboré avec des marques que je respecte beaucoup, qui m’ont également renvoyé ce respect, et m’ont laissé une liberté totale de création. Je ne fais pas partie des gens qui séparent la mode de l’art, pour moi ce sont deux mondes qui s’entrecroisent à plein d’endroits, et qui parfois font naître de vraies masterpieces.
N’est-ce pas un peu cynique de participer à cet hyper capitalisme que tu dénonces ?
Malheureusement dans notre société tout est hyper capitaliste, et le monde de l’art n’y échappe pas non plus. Il faut arrêter de romantiser, c’est un vrai marché. Pour fuir toute forme de capitalisme il faudrait peut-être que je vive recluse dans une cabane, mais je ne serais sûrement pas entendue.
J’utilise les outils que j’ai pour faire parler de mon travail, et donc pouvoir passer mon message, et dénoncer.
Tes collages et peintures présentent souvent des ambiances d’apocalypse avec pour le « regardeur » un sentiment de fascination/ répulsion. Est-ce pour toi le reflet de notre époque ?
J’invoque l’apocalypse à différents niveaux. Dans un premier temps c’est une représentation direct de ce qui est en train d’arriver à l’humanité, l’observation de cette fin du monde qui approche, et donc la peindre c’est comme l’archiver, la documenter. Dans un deuxième temps, l’apocalypse est la métaphore de la fin, de la mort. Cette mort est pour moi le chef d’orchestre de notre vie, celle qui nous fascine, et nous répulse. Peindre l’apocalypse c’est aussi l’exorciser, et essayer de m’en détacher, car au fond je suis effrayée.
Quels sont tes projets Post-Artagon ?
J’ai plusieurs expositions collectives en approche, une au Hangar Belle de mai, une dans une galerie parisienne Ground Effect. Je suis également sur la création d’un collectif avec des résidents d’Artagon, et l’ouverture d’un nouveau lieu. J’aimerais trouver une résidence à l’étranger pour 2023, peut-être au Japon.
Dans la société du spectacle 2.0 que tu dépeins, la notion de copyright semble avoir disparu. L’acte créatif prime sur la propriété ?
L’acte créatif est la liberté, la propriété ses chaînes.
Quels sont les projets sur lesquels tu as pris le plus de plaisir dernièrement (Clip, Pub, Etc)
Je prends du plaisir dans chacun de mes projets à différents niveaux. J’adore être seule en introspection dans mon atelier, mais je trouve aussi génial de travailler sur un tournage avec une équipe de 50 personnes. Ce sont des espaces et des temporalités différentes, c’est super stimulant.
Quels sont les spots et les adresses que tu kiffes le plus à Marseille ?
La mer
Propos recueillis par Eric Foucher