Si Lova Lova résonne en beaucoup de nous comme le gimmick sexy du rappeur Shaggy, c’est aussi le nom d’un duo d’artistes formé par Léa Magnien et Quentin Chantrel.
Vous avez sans doute aperçu leur intrigante image qui a servi à la promotion du dernier Festival de Marseille : un couple métisse curieusement attifé posant sur les rochers devant la rade de Marseille. Une photo dont on ne sait au premier abord s’il s’agit d’une image de mode « décalée », d’un déguisement ou d’une représentation cérémonielle. Autant d’ambiguïtés dont se joue le couple de jeunes français ayant grandi en Guyane depuis l’âge de 5 ans et qui a dû assumer l’héritage post-colonial en même temps que celui de minorité. En ressort de leur travail un passionnant travail sur l’identité, le genre et la culture dont ils n’hésitent pas à prendre leur part de « clichés » avec beaucoup d’autodérision, en témoignent leurs autoportraits en touristes rougeots. Derrière l’apparente frivolité du projet, des questions fondamentales sur la représentation de l’autre.
Comment s’est passé votre arrivée en Guyane ?
Léa : Quentin et moi sommes tous les deux arrivés en Guyane à l’âge de 5 ans. Ses parents avaient envie de nature et ont décidé d’aller vivre en pleine forêt. Les miens voulaient voyager. Avec de jeunes enfants, ils leur semblaient que la Guyane était un bon choix.
C’est un choix de destination qui n’est pourtant pas commun. On est loin de la carte postale exotique facile ?
Léa – C’est vrai que ça n’est pas vraiment touristique car la forêt amazonienne couvre la presque totalité du territoire et que le bagne n’a pas forcément donné une bonne image. Mais pour moi qui suis native d’Aix-en-Provence (ndlr : elle a encore une grande partie de sa famille ici), le plus difficile à finalement été le chemin inverse, quand je suis revenue faire mes études d’art après le bac, à Marseille puis Aix. C’était de très grandes villes alors que la Guyane est un village en comparaison.
Votre intérêt pour l’identité et le regard posé sur l’autre parle aussi finalement de vous ?
Quentin – On est tous les deux métropolitains. A l’école, tu as l’héritage de la culture du colon très lourde à porter, et en même temps tu as l’impression d’être un peu discriminé parce que tu es souvent le seul blanc de ta classe. Quand on ne nous connaît pas, on nous prend parfois encore pour des touristes (sourires) alors que nos deux familles sont maintenant complètement mélangées avec des créoles, brésiliens, etc.
Comment est née l’idée du duo ?
Quentin : On s’est rencontré en 2015 et on à commencer à collaborer. Léa a beaucoup travaillé durant ses études sur les questions d’identité. Elle conceptualise souvent les choses et moi qui ait davantage été formé au cinéma, je l’aidais tout le temps pour la mise en scène, mais surtout pour la partie technique que j’aime beaucoup. On a finalement décidé de travailler ensemble.
Et celle du nom Lova Lova ?
Léa : C’est extrait d’une chanson bien connue de Shaggy. Au départ on pensait à Palanakili (ndlr : “esprit venus de la mer”), la façon dont les amérindiens nomment les blancs. Mais c’était un peu compliqué à mémoriser (rires).
Est-ce facile de vivre de son art en Guyane?
Léa – Non c’est compliqué. Alors il faut trouver d’autres débouchés. Pour l’heure, on ne vit pas encore de nos créations. Moi je suis également costumière dans l’audiovisuel et le théâtre, Quentin travaille dans l’image et de la machinerie. Mais on ne se plaint pas.
Comment vous est venue l’idée du projet mexicain de « Quinceañeros » ?
Léo – On a eu de la chance. C’est un festival photo qui nous a offert une bourse et envoyé deux mois sur place. Cela peut sembler beaucoup, mais même sur cette durée, c’était compliqué car contrairement à la Guyane nous n’avions pas les codes. Nos images tente de traduire ce moment important des quinze ans, un rituel de passage très important chez les mexicains oscillant entre fantasme et réalité.
Les photos semblent plus travaillées
Quentin – On a suivi une formation photo plus approfondie avant d’aller là -bas. On a davantage travaillé l’image et on a été plus sobre dans les costumes. Les photos ont toutes été prises en fin de journée pour avoir une unicité de lumière et en format carré pour que le plein pied puisse coller à toutes les situations.
Comment se passent les mises en scène et les déguisements ?
Léa – On pense le projet en amont mais on se fournit toujours sur place, car il faut que cela parle du pays. On cherche des boutiques de seconde main, type Emmaüs, mais aussi des articles dans des bazars chinois.
Comment en êtes vous arrivés à signer le visuel du dernier Festival de Marseille?
Quentin – On était au Mexique quand on nous a contacté et on ne voulait pas laisser passer pareille aubaine. Alors, on a commencé à travailler sur des repérages avec des Google view et crée des photo-montages pour les deux images qui seraient réalisées. On a shooté ensuite au début de l’hiver, sur les rochers au bout du port à côté des chantiers de réparations navales. Les modèles étaient tremblants, on avait froid pour eux (rires). On a fait deux images. L’une dans une baignoire qui est une adaptation d’une scéno déjà réalisée et celle qui a été finalement retenue et qui, elle, est entièrement nouvelle.
Votre documentaire en écriture est toujours dans cette veine de l’identité et du travestissement mais sur un cas bien particulier
Léa – Oui, il traite des « Touloulous sales » pendant le Carnaval de Guyane. Ce dernier dure deux mois et c’est le moment le plus important de l’année. La société guyanaise est pleine de tabous et durant cette période tout le monde se lâche, en se masquant paradoxalement. Les administrations ferment ou tournent au ralentis. Les gens défilent, et parmi eux une catégorie d’homme qui se déguisent en femmes : les « Toulous ». Ce travestissement n’a rien de sexuel. Ça m’a toujours fasciné depuis que je suis toute petite de voir ces types très virils, poilus, qui transpirent et chantent avec une voix grave mais qui sont habillés en une certaine image de la femme, avec mini-robe, string et talons.
Que peut-on attendre de ce film ?
Quentin – L’idée à travers ce doc est de comprendre la rapport un peu particulier homme-femme en Guyane. En quoi l’esclavage a t’il contribué à une place très faible du père en regard de celui de la mère. On a trouvé un orpailleur assez fou qui reçoit tous ses amis le dimanche. Ils se travestissent en prévision du carnaval. Et n’allez pas leur dire qu’ils sont “makouné” car l’homosexualité est complètement taboue. Le plus drôle était de croiser ensuite des policiers ou des gens dans des administrations que l’on avait aperçu en train de se vernir les ongles ou en déguisé en wonder woman. E même temps tout cela n’est pas caché. C’est complètement assumé. Il y a même des mecs de quartiers populaires (que l’on pourrait comparer aux cités d’ici) qui le font . Chose qui pourrait paraître impensable en France.
Les projets à venir ?
Un court-métrage qui va sortir en septembre (en post-production actuellement) et le Festival international des textiles extraordinaires (FITE) à Clermont-Ferrand qui nous ont commandé un sujet qui mélangerait photographie et costume.
Propos recueillis par Eric Foucher