Quoi ? : Designer et illustratrice

Née à Londres d’une mère jamaïcaine et d’un père guyanais anglais, Sharon Tulloch intègre une école d’art puis de graphisme. Elle y rencontre un autre jeune passionné de créations visuelles qui deviendra le père de ses enfants à Marseille où  le couple a débarqué en 1987.

 « Les chats ne font pas des chiens » dit l’adage et cela se vérifiera avec Idrissa et Zita, respectivement modèle et producteur pour le premier et comédienne et actrice pour la seconde qui prennent bien la lumière quand elle peine encore à sortir de l’ombre. « Mes enfants sont mes racines » dit celle qui se projette dans le futur en renouant avec un passé complexe. Elle qui a grandi dans un milieu plutôt blanc et porte un nom d’esclavagiste écossais redécouvre sa négritude en renouant avec une famille dont elle ignorait presque tout. Ses illustrations en grand format et délicatement peintes à la main questionnent ces notions d’origines, d’appartenance, de sentiments. Toujours des formes organiques, des plantes et des sexes (inspirés des planches d’anatomie) qui en édition d’art ou en papiers peints l’ont aidé à s’émanciper et s’épanouir.  “J’ai maintenant envie que ce que je crée soit vu et vive chez les gens”.  Nous aussi !

 

L’identité est un thème fort dans tes créations ?

Effectivement. J’ai parfois du mal à comprendre qui je suis par rapport à mon histoire personnelle et familiale. Donc je suis en recherche. Ça me poursuit depuis toute petite car je fus la seule qui a vécu à part.

Tu dis que le décès de ta mère a été comme une libération ?

Plutôt une permission qu’une libération. Mon enfance était fermée, très protégée et éloignée de mes origines. Depuis que j’ai découvert ma sœur, j’ai redécouvert une partie de moi même qui était restée cachée. Après tous ces changements, je deviens ce que je suis vraiment. Mieux vaut  tard que jamais… (sourire)

Quelle incidence cela a-t-il eu sur tes créations ?

J’ai toujours aimé travailler sur les notions d’appartenance, de sentiments. Tout sera toujours pour moi une question de racines. Cela se traduit et encore plus aujourd’hui par des formes qui s’entremêlent, s’entrechoquent, se cherchent et se nourrissent.  Encore une fois l’idée de l’origine…

Tes premiers travaux se feront d’ailleurs dans l’édition jeunesse…

Après la rencontre de Vincent Henrot,  le père de mes enfants,  dans une école d’art à Bristol, nous débarquons à Marseille en 1987 et je deviens maman. Idrissa naît en 1988 et Zita 21 mois plus tard. C’est donc une thématique qui m’intéresse et qui m’enchante.

Te vient ensuite le goût de la transmission…

Oui, par les ateliers en milieu scolaire en tant qu’auteur/illustrateur et ensuite comme professeur à Axe sud spécialisée dans  l’illustration. La rencontre avec Laurent Garbit photographe et DA à ce même moment portera plus tard ses fruits artistiques.

A ses côtés, tu te spécialises en communication visuelle, principalement pour les opérateurs du spectacle vivant.

Oui il me fait découvrir des gens comme Jean-Michel Bruyère (LFKs) qui a alors une grande influence. Les opérateurs culturels osent encore et les visuels de communication sont des véritables manifestes. Mes clients comme le Bois de l’Aune ou précédemment la FAIAR (Formation supérieur d’art en espace public) me laissent une grande latitude dans la création.

 

On parle souvent de « fils ou fille de ». Tu es devenue « la mère de » … Leur  notoriété a-t-elle changé quelque chose ?

Non. Sur les réseaux sociaux, on ne sait pas qui je suis. On a bien tenté de s’approcher de moi pour aller vers les enfants, mais je mets des barrières.

Quel est justement ton rapport aux réseaux sociaux ?

C’est à double tranchant. C’est une bibliothèque gigantesque d’images. Une très bonne source d’inspiration mais aussi de copie (même si c’est agréable de dire que tu inspires quelqu’un). Mais si tu n’as pas confiance en toi, cela peut te donner un certain vertige et de la peur. Tu as l’impression que tout a déjà été fait. Je ne l’utilise que de façon professionnelle. Il n’y a rien de ma vie et de mon intimité qui transparaît. Avec les hashtags, les gens qui me suivent viennent d’univers qui m’intéressent. J’ai des retours et des questionnements même virtuels qui sont importants. Je ne comprends pas par contre l’intérêt des stories (sourire). J’aime garder une partie mystère dans le process de création. Donner l’impression aux gens de découvrir quelque chose. On consomme tellement les images que l’on apprécie plus les petits bijoux créatifs que l’on voit. Ok tu étais là, là tu n’y es plus. So what ?

Tu as partagé la vie de personnes qui t’ont inspiré dans la création visuelle mais tu sembles maintenant t’émanciper…

Toutes les rencontres m’ont fait mûrir et je reviens à mes premiers amours :  l’illustration et le dessin. Le salon de coiffure Franklin à Marseille est devenu une sorte d’atelier-showroom. J’y peints in situ et en en temps réel de grands formats à l’aquarelle et aux crayons de couleurs en relation avec des gens qui sont dans le lieu, un genre de performance malgré moi (Cf Série Métamorphosis en vidéo ci-dessous). J’ai l’impression de sortir de l’ombre en puisant à l’intérieur de moi. Je dévoile des choses plus personnelles. Je deviens visible au travers de mes campagnes. J’assume plus maintenant ce que je fais. J’ai envie que ce que je créé soit vu et vive chez les gens.

D’où l’envie de t’associer dans le projet Maison Originelle ?

La rencontre avec Maya Dupas-Ormas qui est responsable marketing a été importante. Son idée de créer une niche/une laboratoire d’expression m’a séduit et elle aime aussi mon travail.  Maison Originelle créé avec des artistes des œuvres du quotidien. Des pièces limitées, numérotées et signées (papiers peints, bijoux, etc.) A porter, à afficher et vivre jour après jour. Le projet est encore en développement mais devrait voir le jour au courant de l’année.

Propos recueillis par Eric Foucher 

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*Peu de temps après notre entretien Sharon a rejoint la longue liste de ce que l’on appelle dorénavant les«  Délogés » à Marseille après que son immeuble soit frappé risque de péril. Elle a décidé de tenir un journal pour nous faire vivre son quotidien et celui d’autres infortuné(s) depuis presque de cinq mois.