Touche-à-tout créatif, on a connu Gaétan Marron designer d’intérieur, commerçant-cafetier et artiste ambulant. Depuis un an, il a décidé que l’art ne serait plus un hobby mais toute sa vie et choisi de renverser la vapeur.
Plutôt que de scénariser les créations des autres, pourquoi ne pas transformer les choses en support de ses œuvres ? Avec la frénésie créative de ceux qui ont trop longtemps rongé leur frein, Gaëtan Marron a recouvert toiles, bâches et murs de ses visages filaires dont on est bien incapable encore de dénouer les mystères. Dans ses mains les Posca semblent possédés d’une énergie spontanée qui les fait divaguer noir sur blanc sur toutes sortes d’objets comme des céramiques et des pièces textiles (ndlr, une jolie collab récente avec Gertrude et Gaston). Alors que nous allons tous prochainement sortir de confinement, lui a décidé de faire du rab et de se confiner devant vos yeux dans une cellule de 2x2m en plexigas qui sera son refuge durant 10 jours dans l’une des cellules des Docks Village à Marseille. Cette performance qui aura lieu durant 20 jours d’exposition (du 5 au 25 décembre) baptisée « Non essentiel » questionne notre obéissance aux règles mais aussi la privation volontaire de liberté. Avant qu’il ne se mette en boite, nous avons souhaité en savoir plus sur ses motivations.
Quand as-tu décidé de tout plaquer pour l’art ?
En décembre 2019, une rencontre m’a fait comprendre que taire ma sensibilité devenait impossible. J’avais besoin de m’exprimer pleinement et librement peu importe le prix. Je dessinais et réalisais des performances depuis un an, mais là, c’est devenu essentiel et vital. J’ai tout lâché pour m’y consacrer pleinement.
Tu as déjà fait des live painting ou la notion de direct et de durée intervient déjà. Ce projet, c’est l’étape suivante dans ton processus de création artistique?
Oui, c’est une continuité. Par mon travail j’interroge les émotions. Les miennes mais aussi celles des autres, la manière dont nous les présentons ou les masquons. Le rapport aux autres mais aussi à l’espace et au temps a toujours fait partie de mon travail. Et ce projet mêle encore une fois toutes ces notions.
De nombreux artistes performeurs se sont enfermés dans des boites, objets et vitrines (ndlr : y compris récemment le marseillais Abraham Poincheval dans une pierre au palais de Tokyo). Qu’entends-tu apporter de nouveau ?
Le travail d’Abraham Pointcheval que j’ai découvert il y a peu me touche évidemment. C’est un vrai performer. Ce que j’interroge ici ce n’est pas tant le fait de vivre dans un espace réduit, mais bien le rapport aux autres. La vie avec une interface qui nous sépare des autres. La vie derrière un écran comme nous l’avons connu pendant ces mois de confinement mais aussi la place de la création. Dans mon œuvre, la télévision occupe une place importante, physiquement et visuellement, alors que mon espace de travail est réduit. Il évoque cette idée que la culture va sauver les personnes de l’ennui, grâce aux films et à la lecture. Mais pourtant, l’état considère ce secteur comme non essentiel, ne laissant pas de place aux artistes pour travailler. Mon œuvre est aussi très confortable volontairement. Elle est léchée, cocoon. On a envie de s’y confiner et pourtant elle est inhabitable. Je questionne ici l’idée d’espace vital, notre besoin humain d’espace, d’extérieur et de lien social.
Comment as-tu vécu à titre personnel le confinement ?
J’ai eu la chance de le passer à la campagne avec mes enfants une bonne partie du temps. J’ai pu interroger ma vie et faire quelques réglages. Je sortais d’une rupture et je dois avouer qu’à un moment, trois semaines de solitude ont failli me faire basculer. Mais j’ai tenu bon. Je me suis surpris à apprécier le calme, la lumière les choses simples. J’ai perdu énormément financièrement pendant ce confinement comme beaucoup, mais j’ai gagné sur d’autres points, en me reconnectant à des choses plus essentielles. J’ai le sentiment que cela a été le cas pour de nombreuses personnes mais que malheureusement certains ont déjà oublié. J’espère que mon œuvre pourra le rappeler.
En t’auto-confinant volontairement, est-ce à dire que l’on s’autocensure ou que l’on ne jouit pas assez des libertés qui nous sont données ?
Je ne sais pas trop à vrai dire. Je crois que la liberté n’est pas lié à l’idée d’être confiné ou pas. La liberté est dans la tête. J’aime l’idée de me confiner alors que l’on ne m’y oblige pas. C’est aussi ça ma liberté. Je me sens aussi porté par tout ceux qui accompagne le projet et ça c’est aussi un vent de liberté formidable, car tous, avec moi, sortent des conventions établies.
Qu’est-ce que tu appréhendes le plus avant de rentrer dans cette boite : L’ennui, le regard des gens, la claustrophobie ?
Le manque de soleil. De lumière du jour. Mon esprit fonctionne en permanence et je vais continuer à créer et à échanger avec ceux qui le souhaitent depuis mon cube alors je ne crains pas l’ennui. J’ai peur d’avoir froid. Mais cela me rappel aussi que beaucoup n’ont pas le confort que nous avons, ni même celui que j’aurai dans cet espace.
Comment as-tu choisi le lieu (Les Docks). L’ironie du sort veut que la pièce où tu es s’appelle une cellule
J’adore l’idée qu’ils appellent cela des cellules. Pour tout te dire quand je venais à Marseille il y a 10 ou 15 ans, j’entrais dans Marseille en passant par la joliette. Tout ce secteur était en travaux, en devenir. J’étais à l’époque dans l’agencement, mais quand je passais devant les Docks, cette façade de pierre, cette histoire, le lieu magique face à la mer je me disais … « Wahou ce serait fou un jour d’exposer mon travail ici » Alors quand Cindy (ndlr : directrice des Dock) m’a contacté pour me proposer un lieu d’exposition, juste après un artiste comme John One, autant te dire que j’étais très ému et touché.
Cette performance et ceux qui t’aide à la réaliser interroge également sur le financement de l’art aujourd’hui…
Complètement. Je découvre ce milieu depuis peu. Et comme tous les secteurs, il a ses bons côtés et ses mauvais. Mon amie Louella Cool avec qui nous collaborons souvent me fait découvrir le côté « institutionnel », appels à projet, subventions, etc … et c’est nouveau pour moi. C’est une mode de financement pour initié, qui demande du temps et des connaissances… auquel on ne peut pas vraiment accéder sans y être invité. De mon côté, j’ai toujours connu la débrouille, le contact, les réseaux, l’amitié, l’échange et le partage, et toujours trouvé par moi-même des solutions avec plus ou moins de succès. Aujourd’hui c’est ce qui me permet d’exposer et de monter une tel expo, grâce au soutien et encouragement d’une vraie communauté de personnes passionnées et engagées elles aussi, et aucune n’est dans le domaine de l’art. C’est un art populaire pourrait-on dire, mais pas dans son caractère accessible ou même négatif, mais plutôt parce qu’il est soutenu par des commerçants, des petites entreprises, des hommes, des femmes, des gens du peuple, à qui le projet parle. Il est, comme je le souhaitais ,un trait d’union entre des hommes, une idée et le monde parfois « inaccessible » de l’art.
Quelle est ta définition de la liberté ?
Je travaille encore à la question. Mais j’ai compris une chose, c’est que la liberté c’est de ne plus avoir peur. Ne plus avoir peur de tout perdre, ne plus avoir peur du regard des gens. Ne plus avoir peur de perdre quelqu’un où quelque chose, même si c’est justement sa liberté. Je pense que Mandela, enfermé dans sa cellule, était toujours libre, parce qu’il n’avait pas peur de ce qui pouvait lui arriver. C’est en cela que je me sens libre aujourd’hui.
Le Petit Plus : Vous pouvez retrouver ses créations sur un livre qu’il vient de sortir tout dernièrement et qui est disponible sur son site
Propos recueillis par Eric Foucher / Photos portrait E.F