Débardeur, bleu de travail, kilt, jogging et espadrilles : à travers ces cinq pièces iconiques qui ont traversé les modes et les âges, l’exposition « vêtements modèles » célèbre le durable, les savoir-faire et la poésie de l’habit.
La photo à 90 ans et pourtant elle n’a jamais été aussi actuelle. On y voit Renée Perle à Juan les Pins assise nonchalamment dans l’encadrement d’une fenêtre. Modèle d’origine roumaine, elle est la muse et compagne de Jacques-Henri Lartigue, qui la photographiera amoureusement pendant deux ans. Cheveux courts, pantalon, débardeur, sans soutif… La simplicité et l’élégance incarnée. Le paternalisme de l’époque pouvait aller se rhabiller, les néo-réac d’aujourd’hui aussi. En choisissant cette image à la Une, les deux commissaires d’exposition, Isabelle Crampes et Coline Zellal parviennent à résumer toute l’ambition de cette exposition où l’habit fait plus que le moine. Entendez qu’à travers une simple pièce textile se jouent des enjeux qui la dépasse, que ce soit au niveau pratique, esthétique ou politique.
C’est dans l’un des bâtiments du Fort Saint Jean baptisé Georges Henri Rivière, devant la jolie Place d’armes surplombant l’entrée du Port de De Marseille qu’a trouvé place l’exposition « Vêtements modèles ». Vous y prendrez un cours d’histoire en cinq leçons en suivant le parcours de cinq pièces qui ont traversé le temps et les modes.
Avec force documentations issues de collections des grandes maisons de couture, d’archives des dernières marques les produisant et bien sûr du fonds du Mucem, débardeur, bleu de travail, jogging, kilt et espadrille sont analysés sous toutes les coutures pour en comprendre leur utilité comme leur charge symbolique.
Le bleu de travail qui ouvre le parcours est sans doute la pièce la plus emblématique dans sa forme originelle comme dans les déclinaisons qui suivront. Crée par l’entreprise Lafont, spécialiste français de l’habit professionnel depuis 1844, cette veste d’ouvrier est maintenant un must-have casual des placards de cadres. Devenu symbole d’une mode durable et unisexe, les plus grandes marques de prêt-à-porter ont voulu y apporter leur interprétation.
Le débardeur (appelé aussi « Marcel » du nom d’une marque célèbre qui le fabriquait par le passé) servira aussi de porte-drapeau à pas mal de luttes. Depuis celle des dockers sur les quais du port Marseille où ils débardaient (i.e déchargeaient d’où le nom) les marchandises des bateaux, à celui des garçonnes s’émancipant, jusqu’à une culture gay body-buildée à l’extrême, on s’arrachera cette fine maille, toujours tricotée à Marseille par l’entreprise Sugar sur des métiers des années 50.
Comment le bas de survêtement, que portait au départ les aristocrates anglais dans leur intérieur sera arboré un siècle plus tard comme un symbole de la street culture par le milieu hip-hop qui fait du jogging son uniforme ? Comment les sportifs comme Suzanne Langlen, ou les hédonistes fréquentant la Villa des Noailles sur la French Riviera s’approprieront antique l’espadrille, simple semelle de corde nouée à la cheville par des cordes, pour en faire un allié indispensable d’une pratique des loisirs et des sports naissants ? Comment une jupe en tartan est-elle devenue un symbole de virilité ? On en apprend beaucoup sur ces pièces qui, loin d’être des reliques de musée, continuent à être portées aujourd’hui dans la rue.
Au-delà des cycles historiques et sociaux, l’objectif est aussi de mettre en valeur de savoir-faire uniques, de ceux qu’Isabelle Crampes défend depuis près de dix ans maintenant à travers De Toujours, une entreprise de vente en ligne de vêtement de métiers et traditionnels qui s’apparente également à un conservatoire vivant du vêtement. Durant la durée de l’exposition la boutique du Mucem présentera et proposera à la vente de nombreuses pièces iconiques de son catalogue, qui auraient pu elles aussi être décryptées dans cette exposition : la marinière, le chapeau provençal, la botte gardianne, les vrais sabots, autant d’articles du patrimoine vivant, toujours produits par des entreprises artisanales qui résonnent plus que jamais aujourd’hui avec les notions de durable et d’éco-responsabilité.
Le Petit Plus : En plus des images d’archives, le Mucem a produit trois films consacrés aux gestes de fabrication : le débardeur tricoté chez la firme marseillaise Sugar, le kilt dans l’une des dernières fabriques des Highlands écossais et l’espadrille en Catalogne.
Par Eric Foucher