En 2023, le théâtre Silvain, théâtre de plein-air niché au creux de la Corniche, fête ses 100 ans ! Et comme tout centenaire, il a vécu les expériences les plus folles : ouvert et fermé mille fois, il a accueilli sur scène des stars de la tragédie grecque, des concerts de rock sauvages, des spectacles de minots du coin... On vous raconte !
Depuis le pont qui surplombe l’anse de la Fausse-Monnaie, sur la corniche Kennedy, seuls ceux qui sont au courant de son existence peuvent éventuellement distinguer quelques unes des pierres du théâtre Silvain entre les arbres. Pourtant, c’est un ouvrage grandiose : théâtre de verdure de 2300 places construit en 1923, il est aujourd’hui centenaire !
Sa vie a en effet commencé un beau jour de 1922. Dominique Piazza, entrepreneur d’Endoume et inventeur de la carte postale photographique, se balade sur le chemin du Pont – celui qui surplombe le vallon de la Fausse-Monnaie – avec ses amis Eugène et Louise Silvain, tous deux grands tragédiens de la Comédie-Française.
Soudain, ils entendent des éclats de voix : en contrebas, une partie de pétanque s’échauffe. Subjugués par la netteté du son, ils imaginent alors un théâtre de verdure là, dans ce vallon à l’acoustique si parfaite.
Dominique Piazza, qui n’en est pas à son coup d’essai – il avait déjà aménagé le Théâtre de Verdure de Gémenos -, se met donc à l’oeuvre : il achète le terrain et envoie l’architecte Jean Boët en Grèce afin qu’il étudie l’acoustique des théâtres antiques. Celui-ci revient avec les plans de cet immense théâtre de verdure, qui prévoit d’accueillir 5 000 spectateurs. Le chantier commence début 1923 et est achevé le 14 juillet 1923, quelques heures seulement avant son inauguration.
L’inauguration, parlons-en : car elle fut mouvementée – augurant peut être le destin du théâtre !
La presse raconte en effet que le maire de l’époque, Siméon Flaissières, souhaitait y convier Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Un personnage politique qui n’était pas apprécié de tout le monde… Et notamment pas du tout du reste de l’équipe municipale ! Celle-ci s’oppose donc à l’invitation, provoquant une colère terrible du maire… Et sa démission : la deuxième ville de France n’a plus de maire !
Quelques heures plus tard, pourtant, tout le monde se calme et l’équipe rappelle Siméon Flaissières. Celui-ci accepte de reprendre ses fonctions, et un compromis est trouvé : il invitera le ministre, mais en son nom propre plutôt qu’en celui de la collectivité. L’inauguration a donc bien lieu le 14 juillet 1923, avec, sur scène, la tragédie Hécube d’Euripide et comme stars Eugène et Louise Silvain.
Malgré des débuts grandioses, pendant les 100 ans qui suivent, le théâtre ne cessera de mourir et de ressusciter.
Sa première mort intervient en 1927 : malgré le succès de la programmation, en l’absence de subventions, Dominique Piazza ne réussit pas à rembourser les frais engagés. Après plusieurs alertes aux pouvoirs publics, il ferme définitivement en 1931, l’été suivant la mort d’Eugène et Louise Silvain. Pendant une dizaine d’années, le théâtre est alors à l’abandon : il redevient (de manière absolument non-officielle) une sorte de parc local, paradis des minots et des joueurs de pétanque. En 1941, il est racheté par la ville de Marseille, et il devient en 1946 la scène d’été de l’Opéra. Mais en 1955, rebelote : le théâtre coûte trop cher, il ferme.
Durant plus de 50 ans, il reste fermé… Sauf pour quelques dates éparses, au gré de la motivation des associations ou collectifs locaux : pièces de théâtre, chœurs, spectacles de fin d’année des écoles, fêtes de quartier, etc.
Il accueillera dans les années 70, un mémorable festival de rock qui, en l’absence de scènes marseillaises, avait ravi les fans du genre – un peu moins les riverains, qui semblaient préférer les voix de soprano a capella aux riffs des guitares amplifiées…
Le théâtre vivote ainsi jusque dans les années 90. Car c’est à ce moment qu’un plan d’occupation des sols (POS) menace de le détruire… Pour y construire un tunnel ! Les riverains, pas fans de gros sons mais encore moins de béton, ont alors un regain d’amour pour Silvain, et se mobilisent.
Les maires de l’époque – Jean Roatta, puis Patrick Mennucci – réussissent à rassembler capitaux et énergie pour sauver puis rénover le théâtre, qui a souffert de 50 ans d’abandon : les gradins sont entièrement refaits (le faisant passer de 5000 à 2300 places, sa jauge actuelle), la scène agrandie et renforcée (et oui, le matériel de sonorisation actuel pèse plus lourd que les costumes de scène de l’époque !) et les saisons d’été telles qu’on les connaït aujourd’hui sont lancées dès 2011.
Aujourd’hui, le théâtre Silvain est administré par la mairie des 1er et 7e arrondissements et propose chaque été une vingtaine d’événements : concerts bien sûr, mais aussi orchestres, théâtre, cinéma, danse…
Étrangement, peut-être parce qu’on ne l’aperçoit pas (ou à peine) depuis la Corniche, il reste un lieu assez peu connu des marseillais hors centre-ville. Pourtant, on vous promet qu’il vaut le détour : au-delà de la programmation assez éclectique (vous y trouverez forcément votre bonheur), c’est aussi une expérience de choix que de voir un concert dans cet immense amphithéâtre grec, entre les pins, dans les effluves de la mer, alors que le jour tombe… Si ce n’est pas déjà fait, à découvrir d’urgence !
Le Petit Plus : Pour les petits budgets, profitez des séances de cinéma en plein-air : souvent gratuites, elles sont l’occasion de découvrir le théâtre Silvain tout en voyant un super film à la fraîche !
Par Julie Desbiolles
Photos : JD / EF / Mairie 1-7 / Archives municipales