Dans un appartement presque vide, un sosie de Nougaro (Grégory Montel), voudrait à tout prix incarner le célèbre artiste au cinéma. Un dialogue intérieur et musical débute avec son double (l’accordéoniste Lionel Suarez), retraçant en creux les succès et les doutes du chanteur populaire de la ville rose.
Nous retrouvons Charif Ghattas (auteur et co-metteur en scène), Grégory Montel (acteur et co-metteur en scène), Lionel Suarez (compositeur et acteur) en pleine séance de filage au Théâtre des Bernardines, à quelques jours de la première. La quarantaine tranquille, on sent le trio complice sur scène. Réunis par une même passion pour Nougaro, ils s’apprêtent à le faire revivre sur scène par le biais d’un personnage, son sosie, dont la solitude va être bousculée et la vie transformée par l’œuvre de l’immense artiste auquel il voudrait ressembler.
Comment vous êtes-vous retrouvés autour de ce projet ?
Grégory Montel : Je connais Charif depuis très longtemps. J’ai joué dans sa première pièce au début des années 2000. On est tous les deux passionnés de Claude Nougaro que j’ai vu de nombreuses fois en concert. Au fil des années, l’idée de faire un spectacle sur cette personnalité poétique, soumise à ses démons, a mûri. J’ai eu la chance de rencontrer sa femme Hélène et sa fille Cécile.
Charif Ghattas : Greg m’a parlé de son envie de refaire du théâtre et de son idée d’un spectacle autour de Nougaro. Mais je ne voulais pas faire un simple biopic. De là est née l’idée du personnage de Mathias, sosie de Nougaro, et de son double, Jacques, incarné par Lionel Suarez qui lui a vraiment partagé la scène avec cet immense musicien.
Comment s’est construit le personnage de Mathias ?
Charif Ghattas : la trame de ce spectacle repose sur l’histoire de ce sosie de Nougaro, qui est à la croisée des chemins, un peu dos au mur, abandonné par sa femme et qui laisse son agent artistique indifférente. Il entend parler d’un biopic sur la vie de Nougaro et tout se bouscule dans sa vie.
Mathias est visité par son double, sorte de projection de lui-même, un surmoi accompagné d’un accordéon, sans doute la meilleure part de lui-même, celle qui a fait naître sa vocation. L’envie d’être comédien, de chanter, d’aller vers une vie poétique.
Peu à peu ce personnage lâche toutes ses envies matérielles pour aller vers ce qu’il peut y avoir de plus beau : la poésie, la musique. Il s’élève grâce à cette rencontre avec Nougaro. J’ai écrit ce texte que Greg a aimé, puis j’ai rencontré Lionel. On a commencé à travailler en résidence sur les textes et les musiques.
Grégory Montel : On en a parlé avec Dominique Bluzet du Théâtre des Bernardines, puis on a trouvé un producteur. Au final, les choses se sont faites assez rapidement.
Monstre sacré de la chanson, Nougaro n’est pourtant pas forcément quelqu’un de très populaire pour les jeunes générations. Si vous deviez les inviter à s’intéresser à lui, que leur diriez-vous ?
Lionel Suarez : Je ne pense pas qu’elles ne soient pas intéressés par Nougaro. C’est juste qu’ils n’y ont plus vraiment accès. C’est tout l’intérêt de ce genre de spectacle que de pouvoir leur faire redécouvrir son répertoire.
Charif Ghattas : Nougaro, contrairement à Gainsbourg qui est resté très populaire après sa mort, a toujours eu un côté franc-tireur et sans compromission dans son rapport à la poésie, la littérature et la musique. Sa langue, son accent, son enveloppe corporelle, ce qu’il dégage, c’est ce qui m’a séduit et m’a donné envie d’aller chercher derrière.
Grégory Montel : Nougaro avait quelque chose de très engagé. Il ne lâchait jamais sa ligne. Comme Gainsbourg il avait des envies de gloire, mais il n’était pas prêt à tout pour ça. Même lorsqu’il a fait « Nougayork », je pense qu’il était sincère et pas du tout opportuniste. Il est allé tout de même aller chercher Marcus Miller (ndlr: célèbre bassiste de jazz fusion new-yorkais).
Aujourd’hui, la jeunesse est assez perturbée dans ses goûts et ses choix car on vit dans un monde d’influenceurs. Ils vous vendent tout et n’importe quoi, sans croire eux-mêmes à ce qu’ils disent.
Lui a été très content de retrouver le succès dans cette fin de carrière mais il n’a pas renié ses convictions pour cela. C’est tout sauf quelqu’un qui se fabrique un personnage pour y arriver, tout sauf un produit marketing. Et ça je pense que ça va parler aux jeunes générations en quête de valeurs plus authentiques.
Charif Ghattas : Je crois que lorsqu’on est jeune – et même après – il y a une notion fondamentale à laquelle on tient plus que tout : la liberté. Et qui mieux que Nougaro pour incarner ce farouche appétit de liberté ? Il était libre à tous les niveaux.
Lionel Suarez : la normalisation de l’accent dans les médias a longtemps joué contre lui. Il a vite été classé comme chanteur « sudiste ». Aujourd’hui, si tu prends des gars qui font du rap ou du slam et que tu leur fait écouter dix artistes des 70’s et 80’s, je suis sûr que Nougaro ressortirait. Ils tilteraient sur lui car c’est quelqu’un qui prenait son pied à jouer avec la langue, à boxer et faire danser les mots. Une passion jubilatoire …
Nougaro, « boxeur des mots » était aussi assez théâtral sur scène. Avez-vous regardé beaucoup de ses concerts et plateaux télé pour vous en inspirer ?
Grégory Montel : Oui je m’en suis inspiré à ma façon, particulièrement imparfaite pour le personnage qui cherche un peu trop fort à être lui. Ça lui mange le cerveau.
La démarche, la veste de cuir à franges – exactement celle qu’il avait pour Nougayork – avec la sempiternelle écharpe blanche m’aident aussi à rentrer dans la peau du personnage.
Lionel qui l’a bien connu me donne aussi des indications. Il m’a dit qu’il était assez arythmique. Il ne savait pas bien danser et ses problèmes de hanche n’arrangeaient rien. Il avait parfois des gestes un peu laids avec lesquels on essaie de jouer et qui ont forgé sa silhouette.
Comment avez-vous choisi les chansons dans son immense répertoire ?
Lionel Suarez : Le choix des morceaux a été facile car il fallait prendre des morceaux qui parlent du personnage de Mathias. J’ai donc composé une illustration musicale pour la pièce, dans laquelle on a intégré des chansons de son répertoire. Le personnage de Mathias est bouleversé par certains mots, certains textes de Nougaro car ça lui rappelle sa propre vie. Nougaro disait souvent, « maintenant qu’elle est écrite, la chanson ne m’appartient plus ». Quel est le chemin d’une chanson ? Quel effet produit-elle sur les gens ?
Grégory Montel : Mathias vit une situation de crise et de déclassement sur tout un tas de sujets. Les chansons de Nougaro sont là pour venir accueillir sa détresse et son désespoir.
Que représente Jacques, le personnage de l’accordéoniste et double de Mathias ?
Charif Ghattas : Ça pourrait être un effet miroir, son ombre, une visitation. C’est une énigme. On a aussi choisi son nom pour symboliser la rencontre avec l’écrivain Jacques Audiberti, une rencontre majeure pour Nougaro.
Lionel, vous êtes le seul à avoir partagé la scène avec Nougaro. La préparation de ce spectacle a-t’elle fait rejaillir des souvenirs ?
Lionel Suarez : Chaque fois qu’on m’a proposé des projets autour de Claude, j’ai préféré botter en touche. Quand nous avons commencé à travailler en résidence et que l’on a revu un documentaire sur sa vie, bien sûr cela m’a touché.
L’admiration d’un artiste empêche souvent une distanciation critique. Comment évite-t’on cet écueil ?
Grégory Montel : ce spectacle permet justement toutes les nuances et de monter la dualité de l’artiste.
C’est un blanc qui aurait voulu être noir, un laid qui aurait voulu être beau, un chanteur de chanson française qui voulait faire du jazz.
Comment avez-vous travaillé les décors avec la scénographe Laure Montagné ?
Charif Ghattas : C’est un décor fixe mais qui bouge par la lumière, avec tout un tas de lignes qui se croisent Il y a ce banc-miroir qui trône au milieu de la scène entre des toiles tendues, mais ce n’est pas le « big banc » de Nougaro. Il est dans l’appartement de Mathias mais pourrait aussi représenter un espace mental, car c’est l’histoire d’une voix intérieure, d’un long poème à lui-même pour le personnage principal.
Comment appelez-vous cette création hybride ?
Charif Ghattas : C’est une pièce de théâtre musicale. Moi c’était la première fois que je travaillais avec un musicien et compositeur sur scène. C’était intéressant d’ailleurs d’adapter la pièce en fonction de créations de Lionel.
Le morceau de Nougaro que vous fredonnez le plus ?
Grégory Montel : Ça dépend des moments , mais à titre perso j’ai une affection forte pour « Clodi-clodo »
Charif Ghattas : Moi, c’est « Un été ».
Lionel Suarez : « Rime » que je joue tous les matins.
Propos recueillis par Eric Foucher