Artiste pluridisciplinaire installée à Marseille, Florence Denou explore depuis toujours le trait, la ligne et le geste comme autant de respirations intérieures. Entre broderies, encres et tissages, elle compose un univers sensible et poétique, profondément ancré dans l’humain et le vivant. Rencontre dans sa micro-galerie où ses œuvres dialogues avec celles d'artistes invités.
Rencontrer Florence Denou, ce n’est pas faire une simple interview. C’est partager un peu de poésie au cœur de la ville. Et ce jour-là, c’est devant sa micro-galerie planquée à deux pas de l’Hôtel de Ville que nous l’avons fait et le mistral, comme par magie, était aussi de la partie. Un regard suffit à embrasser les œuvres exposées sur les trois murs derrière la petite verrière mais il faudrait des journées entières pour écouter ce qui anime cette artiste pluridisciplinaire, aussi douée pinceaux à la main que derrière une caméra ou des fourneaux. Alors on tente tant bien que mal de cadrer la discussion sur quelques axes forts qui se dégagent de ses créations et l’on tente d’organiser cette matière bouillonnante : son obsession du trait, ses rencontres fondatrices, la lumière de Marseille, le bleu comme une langue, sa micro-galerie ou bien encore l’art et le partage comme moteur de vie. Magnéto Serge !
Te souviens-tu de ton premier émoi artistique ?
Il y en a eu tellement… D’abord au théâtre, quand à l’âge de 13 ans j’ai découvert le travail d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil.
Au cinéma, plus tard, avec la découverte du chef-d’œuvre de Barbara Loden : Wanda.
Mais ma plus grande émotion, je l’ai eue en 1995, en me baladant à Montmartre et en entrant par hasard à la Halle Saint-Pierre, où se tenait l’exposition Art Brut et Compagnie, la face cachée de l’art contemporain. Énorme claque !
Et mon premier et dernier grand émoi, c’était au Mucem, puisque pour la première fois, j’ai pleuré devant une œuvre : Pan, un polyptyque de Cy Twombly.
Quand as-tu commencé à créer tes premières œuvres ?
Le jour où, toute petite, ma mère m’a offert ma première boîte de pastels ! Elle l’a très vite regretté, car mon “support” préféré à l’époque n’était ni les murs ni le papier… mais les meubles de la maison !
J’ai toujours créé, dessiné, modelé, crayonné, brodé et tissé. J’ai une petite obsession 😉
Et d’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours exploré le trait, la ligne. Mes traits, par milliers, faits instinctivement depuis toujours, sont mon langage.
Un trait n’est rien. Ou presque. Deux traits, c’est déjà tout un monde.
La répétition n’a de sens que si elle est obsessionnelle. J’aime expérimenter le geste, la répétition à l’infini du trait, de la trace maintes fois refaite et pourtant sans cesse différente.
Y a-t-il eu des rencontres importantes qui t’ont confortée dans tes choix artistiques ?
La rencontre qui m’a bouleversée et influencée, c’est celle avec le réalisateur Jérôme de Missolz, avec qui j’ai tourné deux longs-métrages, dont un film “ovni” et hypnotique sur la vie de la photographe Francesca Woodman.
Et je dirais aussi la rencontre avec l’œuvre et les écrits de la peintre canadienne Agnès Martin, qui cherche à provoquer une expérience émotionnelle à travers son travail. Sa vie, sa réflexion, son approche… tout chez elle me touche profondément.
Marseille a-t-elle changé ta façon de créer ?
Je ne sais pas vraiment.
Je suis venue ici pour vivre sous un carré de ciel bleu.
Pour la luminosité. Ma recherche interroge notre capacité à percevoir ce qui nous entoure et questionne notre rapport à l’environnement, à la fois humain et naturel. Alors oui, si Marseille n’a pas changé ma façon de créer, elle l’a sans doute influencée.
Tu utilises de nombreuses techniques (broderie, tissage, peinture…) avec un rapport très charnel au médium.
Oui, mais plus que le médium, ce qui m’importe, c’est le geste, le trait. Le médium est secondaire. Tout part du trait, de la ligne comme souffle, comme battement. J’utilise souvent des outils glanés dans la nature — des pinceaux végétaux — mais aussi des brush pens à l’encre.
Je tends vers la simplicité la plus nue, la sincérité la plus brute. Mon geste est obsessionnel, mais jamais calculé. Je me laisse traverser.
Le bleu est ma langue. Il m’absorbe. Chaque trait est une tentative d’écrire ce que je ne peux dire.
Dans mon travail à l’encre, je dessine comme on écrit une icône : en partant de l’obscurité pour faire remonter la lumière. Peu importe le support : je cherche juste à transmettre une émotion, à traduire la fracture entre le monde et moi, entre ce que l’on voit, ce que l’on croit voir, et ce qui se dérobe.
Qu’as-tu souhaité faire à travers cette nouvelle micro-galerie ?
Partager ! Et répandre un peu de poésie au cœur de la ville. C’est mon leitmotiv.
Partager cet antre, ces trois murs, avec d’autres artistes (qui peuvent m’envoyer leur portfolio) et offrir une respiration au passant trop pressé, celui qui traverse souvent le monde sans le voir.
Peux-tu nous en dire plus sur ta rencontre avec Sophie Denux et l’objet de l’expo actuelle ?
J’ai d’abord connu Sophie à travers le magazine Toc toc toc, qu’elle a fondé en 2010. J’adorais son travail, son regard, sa poésie. Et puis j’ai fini par y figurer, quand elle a consacré un numéro à Marseille 😉 Ce fut le début de notre amitié. Quand elle est venue s’installer ici, je lui ai proposé que l’on partage les murs. J’avais aimé ses clichés aux étendues quasiment vides, d’une douceur instinctive. En résonance, j’ai choisi d’exposer mes œuvres végétales brodées au fil de raphia.
Que vas-tu proposer dans ton appartement-atelier ?
Toujours dans ma quête du partage — et comme mes années derrière les fourneaux de mon mini-resto (Mamma Cucina, au Panier) me manquent — je vais allier ce qui me met en joie.
À partir de novembre, je proposerai des apéros-dîners / ateliers artistiques deux soirs par semaine, et un atelier d’écriture un autre soir.
Le samedi, un brunch / atelier artistique aura lieu dans mon appartement-atelier.
Quels sont les lieux dans la ville qui t’inspirent ?
Les lieux poétiques. J’aime les espaces vides, loin de tout, de tous, et surtout loin du brouhaha ambiant.
J’aime me tenir à la lisière, au bord du monde, mais aussi rêver en bord de mer…
Pour cela, je roule jusqu’à la Baie des Singes, qui est pour moi la Baie des songes. J’aime aussi me perdre dans les ruelles et les hauteurs du village de La Treille (11ᵉ), véritable havre de paix.
Je peux passer des heures au Frac Sud, à feuilleter les beaux ouvrages de leur librairie. J’attends avec impatience leur prochaine exposition L’Écologie des relations — La Forêt amante de la mer (6 février – 13 septembre 2026), suite d’une expo que j’avais adorée à la Maison de la culture du Japon à Paris.
Et l’été, la Friche de l’Escalette, avec les sculptures de Stahly plantées au milieu des vestiges d’une ancienne usine à plomb. Les “restes” y sont si poétiques.
Propos recueillis par Eric Foucher . Photos E.F , Roman Penigaud et Mona Pix (Trois dernières)
> Florence Denou Studio/Galerie // 32 Place Victor Gelu, 13002 Marseille
(Vitrine ouverte du Lundi au vendredi de 12 à 19.00 / Visite sur Rdv contact florencedenou@yahoo.fr)












