6 mois, 28 pays et 31 730 kms au compteur… Par son étonnant périple, une charmante camionneuse témoigne qu’il est encore possible de voyager en solitaire quand on est une femme et tord le cou aux préjugés pour inspirer ses congénères.
Heureuse qui comme Issia a fait un long voyage. Mais là s’arrête le clin d’œil au mythe d’Ulysse. Car il s’agit là d’une épopée terrestre et qui a bien eu lieu l’an passé du 21 juin au 21 décembre 2019. Elle relevait autant de l’exploration que du défi : prouver qu’un femme pouvait partir seule sur les routes. Au volant de l’un de ces petits vans, nouveau symbole de liberté pour toute une génération de « digital nomads », la jeune femme s’était donnée pour objectif de sillonner l’Europe de long en large, du Portugal jusqu’aux Pays Baltes, à la découverte de ses merveilleux paysages et populations autochtones. Ce fut mission accomplie, aidée en cela par sa communauté à qui elle a fait vivre son périple au quotidien sur les réseaux sociaux. Le plus dur dans l’histoire fut finalement pour elle de se séparer de son partenaire à quatre roues, affectueusement nommé « Cacou » en raison de ses attaches marseillaises, et d’être « tanquée » au même endroit. Lorsque nous lui avons parlé pour la dernière fois, elle était confinée depuis plusieurs semaines en Lettonie. Le comble pour une voyageuse…
Une petite présentation de toi ?
Je m’appelle Issia, je suis Marseillaise, j’ai 34 ans et je suis passionnée de voyage. En 2019, je suis partie 6 mois seule en van aménagé faire le tour complet de l’Union Européenne, au total 28 pays !
Que faisais-tu avant de partir ?
J’ai commencé par travailler dans un bureau d’architecture, puis j’ai eu l’opportunité de faire du mannequinat avec des missions d’assistante de direction dans différents organismes.
Pourquoi ce challenge dans les 28 pays de l’UE?
En août 2018, je me suis fait la promesse que quoiqu’il arrive, en 2019, je partirais seule en van aménagé pendant 6 mois explorer les 28 pays de l’UE. Je me suis lancé ce défi, dans un élan féministe, pour prouver qu’une femme peut voyager seule.
D’où te vient l’idée du voyage en van ?
J’ai fait mon premier roadtrip en van aménagé avec un ami dans l’Ouest Américain en février 2018. C’était génial ! Dès mon retour, j’ai cherché sur internet et sur les réseaux sociaux des infos pour en savoir plus sur ce mode de vie : la « vanlife ».
Comment as-tu fait ton choix concernant le modèle ?
Une chance dans la malchance ! Un homme m’avait proposé le prêt d’un van tout équipé. Mais à la dernière minute, il a prétexté se l’être fait voler. J’ai alors scruté les petites annonces. C’est ainsi que j’ai découvert « Cacou » mon camion, un VW LT35 TDI aménagé de 1992. Il m’attendait à La Ciotat. Dès que je l’ai vu, je suis tombée sous le charme ! Un moteur robuste, un châssis sans corrosion perforante, 145 000kms, une direction assistée, tout équipé : j’ai sauté sur l’occasion !
Comment t’es-tu débrouillée pour l’aménager et qu’y as-tu mis en priorité ?
Il était déjà aménagé et totalement équipé, une aubaine ! J’ai simplement fait des travaux de rénovation et des réparations mécaniques.
Quels avantages et inconvénients à faire la route seule?
Beaucoup d’avantages :
– La liberté totale ! On fait ce qu’on veut, où on veut, quand on veut ! On a tous vécu ces moments lors d’un voyage en couple où les envies diffèrent et l’un est obligé de faire des concessions et suivre le programme de l’autre. En étant seule, on vit à son rythme au gré de ses désirs.
– Quand on voyage seule, on sort de sa zone de confort. On est obligée de puiser dans ses ressources et on se découvre un énorme courage. On apprend beaucoup sur soi-même.
– Quand on se promène et qu’on cherche son chemin, les gens ont tendance à vouloir nous aider, nous conseiller et nous protéger car nous suscitons chez eux de l’admiration.
– Il faut savoir que lorsqu’on voyage seule, on a le choix de rester seule ou la possibilité de faire beaucoup de rencontres. On part seule mais on revient avec un tas de nouveaux amis !
– Et puis imaginez-vous vivre à deux dans ce tout petit espace ! Alors tout à coup, on n’est pas mieux seule dans sa maison roulante ?! 😉
Le seul inconvénient : conduire à deux c’est plus sympa car on peut discuter et s’alterner au volant.
Comment s’organisaient tes journées ?
Réveil naturel aux alentours de 9h. Je sors dehors « faire pipi » si le temps le permet, sinon j’utilise mon WC chimique. Je mets en marche mon chauffe-eau. Je fais chauffer mon thé dans ma petite cuisine, je sors mon pot de Nutella et du pain de mon placard, je prends un couteau dans mon tiroir, et je sors quelques fruits du frigo. Je m’installe dehors pour préparer mes visites du jour et déguster ça tranquillement au soleil. S’il pleut je prends mon petit dej au lit ! Après ce réveil, je prépare des sandwichs pour le déjeuner, je fais la vaisselle dans mon évier et je me douche. Si les conditions le permettent je me lave dehors, tout en conservant mon intimité grâce à une tente de douche. Le cas contraire, je me douche à l’intérieur du van debout les pieds dans une piscine pour chien. Je prends ma tenue dans ma penderie, un coup d’œil dans le miroir, quelques touches de maquillage (et oui on peut rester féminine en van !), je ferme ma bouteille de gaz, j’éteins mon tableau électrique et me voilà prête ! En route pour la découverte du jour !
Première étape de ma visite l’Office du Tourisme ou le Visitors Center pour y récupérer un maximum d’infos. Je passe toute ma journée dehors à visiter ! A chaque fois j’en prends plein les yeux !
Puis en fin de journée je prends la route, je conduis en moyenne 2h30/jour. Je me rends sur un spot dodo à proximité du lieu de visite du lendemain. Profitant du coucher de soleil, je cuisine mon repas du soir. Ensuite je prends le temps de partager mes aventures sur les réseaux sociaux, je m’installe dans mon lit et je ferme les yeux ! Bonne nuit la compagnie !
Peux-tu nous raconter quelques étapes marquantes de ton périple ?
– Lors de ma première nuit seule, sur un spot perdu dans la nature, alors que je dormais, quelqu’un s’est mis à tambouriner comme un malade à la porte de mon camion ! Je me suis réveillée en sursaut, pétrifiée, à l’affût du moindre signe de vie extérieure. Mais plus rien, plus aucun bruit… Il m’a fallu un moment pour réaliser que tout ça n’était qu’un cauchemar !
– Un matin en Bulgarie, un fermier mécontent de me savoir autour de « son » lac, s’est mis à tirer des coups de fusil en l’air, mais j’étais si bien dans mon lit que je ne voulais pas me lever ! Il a dû tirer une dizaine de coups avant que je me décide à déplacer mon camion. C’est ainsi, que je me suis rendu compte que je n’avais plus peur de rien, même des coups de fusil au réveil !
– Le site le plus extraordinaire que j’ai visité lors de ce Tour d’Europe est la grotte de Skocjan Jame (ndlr : Slovénie) inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Certaines cavités souterraines étaient si volumineuses que ça en donnait le vertige ! Incroyable de découvrir de si grands espaces cachés sous Terre !
– Ma rencontre la plus insolite est celle d’un dessinateur à Ljubljana, qui a dessiné mon portrait gratuitement et avec lequel j’ai visité la ville de nuit à la rencontre d’autres artistes de rue : guitaristes, violonistes,…
– Mon voyage a failli se terminer en Croatie. Une mauvaise surprise a impacté mes revenus. C’était horrible de se dire qu’à cause d’un manque financier, je ne pouvais pas terminer ce challenge. J’ai annoncé la terrible nouvelle à ma communauté instagram. Et dans un élan de solidarité, de nombreuses personnes ont spontanément proposé de m’aider. Sous leurs conseils, j’ai créé une cagnotte en ligne pour réussir ce défi et visiter les 7 pays manquants. Une centaine de personnes se sont mobilisées et ont fait preuve de générosité ! C’est grâce à elles que j’ai pu terminer cette aventure. Je ne l’oublierai jamais !
Quel accueil as-tu reçu dans les différents pays ?
J’ai toujours été accueillie avec bienveillance. Certes il y a des pays où les gens sont moins souriants, comme les pays Baltes, mais c’est dans la culture: ils ne sont pas méchants pour autant !
N’as-tu pas l’impression d’être passée à côté de belles choses en voulant aller aussi vite ?
Au contraire ! Je suis ravie d’avoir pu vivre une si belle aventure et découvrir autant de belles choses en si peu de temps !
Il y a plus de 60 ans Jack Kerouak a écrit un livre majeur pour la génération beatnik. Qu’est-ce qu’être sur la route en 2020 ? A-t-on encore autant de liberté de circulation ?
Je ne connais pas ce livre. Cependant, l’idée que les gens ont des vanlifers n’est souvent plus d’actualité. Les nouveaux nomades ne sont pas des hippies qui ne se lavent pas. Les vans de nos jours sont très bien équipés avec tout le confort nécessaire ! De vraies maisons sur roues, avec électricité, chauffage, chauffe-eau, douche, cuisine et sanitaire. On est loin de l’image marginale des beatniks. En 2020, le vanlifer voyage tout en travaillant. Traducteur, photographe, réalisateur, graphiste, rédacteur web,… tous les métiers en télé-travail sont compatibles avec la vie nomade. On les appelle les « Digital Nomads ». Concernant la question de la liberté de circulation, en tant que français nous sommes libres de circuler dans l’espace Schengen et l’Union Européenne. Cependant, depuis la pandémie de Covid19, il est possible que cette liberté de circulation ne soit pas rétablie tout de suite et qu’il y ait des restrictions de voyage. Affaire à suivre.
Tu faisais vivre ton voyage au quotidien sur les réseaux sociaux. Une façon de garder le contact ?
Je voulais partager mon expérience, faire découvrir des pays, montrer ce qu’est la vanlife et prouver, au jour le jour, qu’une femme est capable de voyager seule.
Est-ce facile de redevenir sédentaire quand on a été nomade ? Quels sont tes projets futurs?
Pour moi le retour a été très compliqué à vivre… Il m’a fallu plusieurs mois pour sortir d’une sorte de « nostalgie ». Au volant de ma maison roulante, j’étais totalement libre, paisible, poussée constamment par l’adrénaline de la découverte, chaque jour était différent et magique ! Ré-intégrer une vie « monotone » dans une « société de consommation » nécessite un temps d’adaptation. Et cerise sur le gâteau : la pandémie ! Je vis au jour le jour, je n’ai pas de projets post-confinement. Une chose est sûre, je continuerai à partager mes conseils sur le voyage en van solitaire pour inspirer d’autres femmes. Et même si j’ai dû vendre mon camion, je voyagerai à nouveau en van, c’est certain !
Propos Recueillis par Eric Foucher
Le parcours ci-dessous en images ICI