Leur quotidien, c’est de rencontrer des vignerons, dialoguer, déguster et rigoler avec eux pour comprendre leur approche et vous la ressortir en bouteilles. Jade Dufrenoy et Fred Semerdjian sont des marchands d’un nouveau genre qui vous parlent avec légèreté d’une passion qu’ils prennent très au sérieux.
Ils ont la passion de vins vivants et souvent natures qu’ils dénichent dans nos beaux terroirs. Ces “têteurs de bouteilles », comme ils se surnomment, défendent l’idée que le bon vin n’est pas seulement destiné aux connaisseurs, aux tables étoilées et aux grands repas. Il exprime un art de vivre, un moment de convivialité que l’on peut retrouver lors d’un apéro, d’un repas ou d’une soirée. De l’humain, de la passion, de la simplicité et du plaisir, c’est ce qu’ils recherchent chez les artisans vignerons mais aussi ce qu’ils proposent lorsqu’ils prennent possession de lieux très différents où la fête n’est jamais loin (disquaire, grand bistrot, petite brasserie). Leur message? “On pose son cocktail et on demande un verre de vin !”
Votre parcours respectif ?
Fred : On a eu plusieurs vies : Comptable, hôtesse de l’air, traiteur, éleveur de pingouins. Je vous laisse rayer les mentions inutiles.
Tout ça a donné plus de 10 années d’expérience dans la restauration, côté salle et côté production également. A noter que la cuisine de ma mère, qui défend les produits naturels depuis toujours, mériterait bien quelques étoiles.
Jade : J’ai mis un peu de temps à comprendre que le vin m’intéressait réellement. Un peu d’histoire de l’art, des expériences en restauration… Pour finalement étudier le vin et être lauréate au concours de Meilleur Élève Sommelier de France en 2016 (et non, pas de féminin dans cette histoire. Je ne parlais et ne buvais pas de vins vivants jusqu’alors. Je ne remercierais jamais assez mon meilleur formateur pour ça, Fred.
Puis départ pour Paris, une expérience incroyable de deux années entre salons, bar à vins, restaurants, et des verres, des verres, des verres…
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans le négoce du vin ?
Négoce c’est pas super sexy… On a très vite été d’accord sur cette profession : trop de codes, trop d’uniformité, trop de technicité. Des professionnels sérieux, un peu frileux, pas assez d’audace et de fun pour nous. On a voulu remonter à la source et modifier le message. Fini le téléphone arabe. Mettre le nez dans la terre. Alors on a décidé de clore le chapitre « sommellerie ».
Nous sommes allés chercher des vignerons. Nous voulions mettre leurs vins, des vins naturels, partout, chez tout le monde. On est un peu des messagers du « bien boire » à notre niveau.
Le fait de travailler en couple est-il un plus pour votre activité ?
Le plus, c’est la complicité et la facilité à se comprendre, à se répondre et à s’enrichir. Cela nous dynamise énormément, on est dans une énergie créative très intéressante. Quand les échanges sont à l’écrit, Fred me dit « je te vois bien là, t’es à fond comme “Soif”. “Soif”, c’est notre beagle de 6 mois. Je te laisse imaginer…
Comment choisissez-vous les vignerons que vous représentez ?
On a essayé de se mettre d’accord sur une sorte de « cahier des charges » d’abord. Du bio et des vignes propres sans pesticides. Ensuite, une vinification douce et sans intrants chimiques. Le vigneron est un parent qui doit savoir lâcher la main de son enfant (son vin) pour le laisser s’exprimer et s’épanouir.
Notre vision quant à l’utilisation du soufre est celle que l’on perçoit à la dégustation, donc généralement inférieure à 20mg/l. Nous ne forçons pas le destin. Nos vignerons sont le fruit des rencontres et des hasards. Nous vendons des vins, mais nous valorisons des humains.
Quelle relation avez-vous avec eux?
Nos vignerons, c’est le cœur et l’âme de Winesucker. Certains diront que dans les relations professionnelles, il faut de la distance. Et bien pas pour nous. Nous ne travaillons pas avec des stars, il y en a dans ce milieu. Nous valorisons des artisans, des artistes, nous leur donnons le soutien nécessaire pour avoir confiance en leur travail, en eux. Nous prenons le relais sur toute la commercialisation pour les laisser se concentrer sur le raisin, la terre. Et de ces relations naissent des choses merveilleuses. Nous ré-humanisons, après des années de déshumanisation.
Qu’apportez-vous de nouveau aux professionnels comme aux particuliers avec winesucker ?
Nous apprenons aux Marseillais à boire du Gamay plutôt que du pastis à l’apéro!
Plus sérieusement, nous ne proposons que des vins naturels, sans gueule de bois garantie, et sommes dans une vraie recherche de démocratisation.
Sommelier ou pas, étoilé ou café, journée ou soirée, electro ou rap, design ou bar de quartier… L’essentiel est que tu boives du Winesucker, que tu fasses la fête, et que nos évènements te donnent envie de boire du vin du dimanche au dimanche suivant, avec modération bien sûr.
Le milieu du vin a énormément changé. L’esthétique du flacon ne prend-elle pas trop le dessus sur la qualité du contenu ?
L’esthétique joue dans tous les domaines. L’atmosphère d’un lieu compte autant que le contenu d’une assiette. Je dirais qu’au-delà de l’esthétique, le nom et l’étiquette prennent souvent le dessus sur le contenu. Tu instagrammes une bouteille que tu n’as pas bue mais elle a 678 hashtags et tu peux faire monter ton nombre de followers. Classique.
Tu as un bar, tu mets en vitrine ou sur tes étagères des bouteilles que tu n’as jamais eu à ta carte. Classique. Quelle importance que tu l’aies déjà bue ou pas…
Je ne sais pas si je devrais le dire, mais « winesucker » a commencé comme ça. Pour se moquer de ce qu’on appelle entre nous des « suceurs d’étiquettes ». Ca a migré en « têteurs de bouteilles », on a fait évoluer tout ça!
Quelles sont les tendances en matière de goûts du public?
On va dire que ça dépend du public ! Actuellement, disons que les termes qui reviennent sont « buvabilité », « vin de copain/de comptoir », « léger », « gouleyant »… On s’est détaché des vins puissants, charpentés et tanniques, on sent les gens de plus en plus curieux et ouverts.
Mais le Sud, ça n’est pas Paris, beaucoup de choses restent à faire et c’est tant mieux ! Et si on pouvait insuffler des tendances ?
Sortons les bulles, les vins d’Alsace, du Jura, du Beaujolais, un peu de vins blancs de macération et quelques gueuzes, et notre bonheur serait total. Allez les marseilles, on y va !
Quelle est votre démarche pour vous faire connaître ?
Les soirées Winesucker! Nous nous implantons dans des tas de lieux différents (disquaire, grand bistrot, petite brasserie…), prenons possession des lieux et tout le monde carbure à Winesucker. On y met toujours en lien quelque chose : producteur, chef, musique… On aime bien travailler avec Eye Scream, il ne boit que des vins naturels… Nous sommes à l’affût de n’importe quel évènement et collaboration, privée ou publique.
Avec votre dégaine et votre nom de marque avez-vous toujours été pris au sérieux?
Certainement pas et c’est tant mieux ! Nous sommes comme nos flacons : un contenu sérieux et précis, un contenant… Atypique. Et c’est vrai que l’on cultive ça, c’est notre volonté profonde. En fait nous sommes un peu la garde rapprochée de nos bouteilles.
Si tu abordes nos vins avec trop de sérieux, tu seras déçu, alors on donne le ton. Avec tact et élégance, mais pas de cravate chez nous. Les cravates on en fait des ceintures…
Lorsqu’on a choisi l’étiquette Winesucker pour nos trois collaborations de cuvées, nos proches nous ont demandé « Mais un singe ?! Pourquoi un singe ?! Pourquoi pas une belle vigne ? Une fleur ? Un arbre de vie? »
Jade : Tu sais, lorsque j’étais sommelière avec un chignon et une jolie grappe, on m’a demandé des dizaines de fois de parler au sommelier « svp ma jolie ». Alors les codes vestimentaires…
Le vin que vous rêveriez de distribuer ?
Est-ce que tu t’arranges avec le vigneron pour moi si je te dis ? On n’est pas d’accord je crois, mais ce sont deux magiciens farfelus ! Pierre Beauger, en Auvergne pour l’un, Gabrio Bini sur l’île de Pantelleria pour l’autre. Pour public décalé et dégaine quand même…
Celui que vous êtes en train de faire (cuvée winesucker)
Nos trois cuvées, ce sont nos trois petites bombes, nos filles, nos copines. Elles sont nées d’une histoire d’amitié avec Christian Binner, un vigneron incroyable qui cherche depuis toujours a ouvrir le monde du vin nature. On s’est beaucoup reconnu là-dedans, on a goûté, échangé, rencontré, et le partenariat était lancé. Jean Marc Dreyer au blanc, Claude straub aux bulles et les Frères Engel au rouge. Nous n’avons pas fait ces vins, c’est une vraie collaboration, une mise en lumière de ces trois vignerons. Et un beau démarrage pour Winesucker!
La question que vous auriez aimé que je vous pose?
Est-ce que vous avez déjà pleuré en buvant du vin ? A t-on le droit de boire un verre de vin le matin ? Faites-vous des rêves ou des bouteilles psychopathes vous attaquent la nuit ? OUI, OUI et OUI. Pour les explications, on se retrouve à l’apéro !
Propos recueillis par Eric Foucher