Portant le nom d’une icône féministe avant l’heure, ce vaste entrepôt situé dans un périmètre d’Euroméditerrannée en pleine mutation urbanistique est un atelier d’expérimentation, de production et création artistique. Faire émerger la béance et s’accoutumer à l’incertitude en a fait un des lieux emblématiques des avant-gardes marseillaises.
Donner le nom de Jeanne Barret à cet immense hangar de pierre et de béton des quartiers Nord n’est pas anodin et même riche de sens.
Cette botaniste s’est travestit en 1766 pour embarquer sur l’expédition d’un célèbre explorateur dont la station de métro voisine porte le nom, un certain Bougainville, bouclant le premier tour du monde féminin. Voilà pour le clin d’œil et l’anecdotique.
Mais c’est aussi une figure libre, volontiers subversive qui ramènera en France une collection de plantes à l’origine du Jardin des Plantes. Voilà pour la symbolique et l’esprit qui a présidé à la création de ce lieu.
Ses grandes portes verticales cachent un fonctionnement transversal et collégial réunissant architectes, designers, artistes, musiciens et chercheurs.
Il a ouvert en janvier 2020 grâce à la mise au disposition temporaire du lieu à l’association Circulaire pour trois ans par Euroméditerranée qui préside à la reconfiguration de tout le quartier. En juin 2023, l’opérateur a reconduit le bail pour trois années supplémentaires dans l’attente d’une future démolition ou transformation.
En attendant, c’est l’Atelier Calas Architecture et l’agence Marion Bernard Architectes qui ont été missionnés pour restructurer l’entrepôt de la rue de Sévigné avec la gageure de pouvoir faire cohabiter des ateliers d’artistes avec des espaces de travail, un espace de diffusion et de programmation (expositions, projections, workshops, rencontres …) et un espace d’hospitalité pour les habitant·e·s et les associations du territoire.
« C’est un vide majestueux que seules les architectures cultuelles ou industrielles offrent réellement » précisent les architectes. Ici le vide ne servait pas à prier mais entreposer bien sûr.
Le part pris a été dès le départ de redonner de la mémoire à ce lieu vide : « Cet espace nous parle de la mémoire industrielle de la ville et de ce quartier à quelques encablures des darses portuaires et des infrastructures ferroviaires qui irriguent le territoire national. » L’aménagement a tenu compte de cet équilibre entre le permanent et le passager.
Outre des financements publics, la location d’espaces pour des programmations extérieures permet d’aider à financer les actions de diffusion, de production, de résidences artistiques, mais aussi de médiation pour une vraie implication et ancrage de l’association dans le quartier.
« Chez Jeanne Barret, nous travaillons AVEC les habitants et non pas POUR. »
Au centre du projet ARCHIST (qui avait initié dans un premier temps par la galerie Art/Cade les Grands Bains Douches et l’association Circulaire) se trouve la question du « bien vivre ensemble » précise Guillaume Calas, architecte.
« Nous souhaitons expérimenter un certain nombre de projets d’expositions, ateliers, workshops, bal populaire, carnaval, rencontres/débats, parc, jardin pour enfants, conçus comme des rituels de rencontres et d’écoute du quartier et de ses habitants » poursuit-il.
Ceci est passé par la création d’un « Pôle des Attentions » qui mène un travail de rencontre dans l’espace public, dans les écoles, avec les habitants, en lien avec les structures locales.
Aujourd’hui autour des membres actifs de l’association Circulaire, quatre membres permanents (Aurélie Berthaut, Marie-Rose Frigière, Sorann Micollier-Yoo, Alice Lucot) pilotent et gèrent les espaces de travail (sérigraphie, bois/métal, céramique, bureax), les ateliers d’artistes et l’espace de diffusion et de programmation (expositions, projections, workshops, rencontres)
Ce laboratoire des pratiques culturelles contemporaine est à découvrir d’urgence.
Le Petit Plus : Depuis avril 2020 ce sont plus de 10 000 personnes qui ont été accueillies dans cet espace d’hospitalité pour les habitant·e·s et les associations du territoire
Par Eric Foucher / Photo EF et Julien Openheim.