Pour sa 8ème saison estivale la Friche de l’Escalette met à l’honneur trois artistes de renom dont les œuvres dialoguent avec le site industriel. Les œuvres de Richard Baquié, Jean Amado et François Stahly rejoignent la collection permanente de ce remarquable parc d’architectures et de sculptures.
D’abord il y a ce site, exceptionnel, perdu au confins des quartiers sud de Marseille à l’orée du Parc National des Calanques. Un site qui raconte l’histoire industrielle du lieu et dont on prend plaisir année après années à voir l’évolution.
Lors de la balade se mêlent les faits historiques comme la construction du petit port de l’Escalette pour acheminer des minerais depuis l’Espagne et d’Italie. Mais aussi les éléments architecturaux : les bassins de stockage, de concassage, les rails pour les wagonnets, les fours et les longues cheminées pour envoyer très haut là-bas sur le massif les fumées toxiques qui ont empoisonné les sols. Un patrimoine de pierre et de fer que la Friche s’attache à garder intact en laissant également le vivant (principalement des arbres) s’en emparer.
Et puis il y a comme souvent à Marseille la face B, ces histoires officieuses qui racontent tout autant la ville.
Ainsi cette chambre froide servant à stocker le poisson et cachée dans les hauteurs pour ne pas payer de taxes comme sur le Vieux-Port et qui a brûlé dans un règlement de compte, cet ancien restaurant clandestin tourné vers la cour à l’entrée de la Friche qui revit maintenant.
Eric Touchalaume, le propriétaire, y a aménagé de nouvelles salles d’exposition (celle où l’on peut y découvrir les œuvres de Baquié cette année). Mais on y trouve aussi une galerie (après l’atelier Martel rue Mallet-Stevens à Paris et l’appartement du collectionneur de l’autre côté de la même rue) où l’antiquaire et collectionneur peut y exposer ses pièces de Jean Prouvé, Charlotte Perriand, Pio Ponti. Il les mélange ici avec d’autres pièces que l’on peut appeler « le design avant le design » comme cette console italienne du XVIIIè, mais aussi des statues d’arts primitifs, des grands masques d’épaules du Nigeria.« Ce troisième lieu est une façon de mélanger toutes les œuvres et objets que j’aime sans l’ennui du white cube. » déclare-t-il
« Avec des bouts de ferraille, Richard Baquié propose une œuvre éminemment conceptuelle mais avec une charge poétique qui évoque beaucoup Marseille, sa chaleur, sa violence, ses contradictions. »
On le voit en photo sur la Friche de l’Escalette qui était alors une casse automobile où le cascadeur Gilles Legris y stockait ses véhicules, venir collecter ses bouts de ferraille pour faire ses installations, des sculptures.
Epsilon, cette épave de R16 brûlée provient aussi de la casse et symbolise la fin des Trente glorieuses, le désenchantement des années 80, le chômage, etc. C’est la voiture du père de famille, celui qu’on nomme alors « le français moyen » qui va droit dans le mur.
Elle fait face à Zéro, constitué de quatre grandes lettres découpées en tôle ondulée, une œuvre phare exposée en 1986 au Guggenheim Museum de New York dans l’exposition « Angles of vision : French Art Today » dont la présente exposition reprend une partie du titre.
On trouve ensuite deux reliefs muraux, Tokyo (1989) et Alexandrie (1990), composés de fuseaux (horaires) en tiges de fer, photomontages, cartes, verre et néon… traduisant la fascination de Baquié pour le voyage, la fuite, l’écoulement du temps… Deux très beaux dessins de 1992, Approche frontale et Approche de face concluent cette exposition au côté assez sombre, nihiliste et comme prémonitoire (l’artiste meurt d’une tumeur au cerveau quelques années plus tard à l’âge de 44 ans seulement.
Artiste phare de la scène marseillaise des années 1980-1990 disparu trop tôt, vous pourrez retrouver d’autres de ses œuvres majeures au Musée d’Art Contemporain de Marseille (MAC) qui vient de rouvrir.
Deuxième artiste phare présenté cette année, le sculpteur et céramiste aixois Jean Amado (1922-1995) dont vous connaissez sans doute déjà des œuvres sans le savoir. Ce sont en effet ces sortes de cactées vernissées qui ornent les entrées des immeubles Tourette construit par Pouillon et Egger en 1952 au-dessus du Vieux-Port. Mais ici, il s’agit de tout autre chose.
On découvre d’incroyables sculptures faites de moellons ocre-rouge dans un matériau de son invention : le Cérastone – mélange de ciment et de sable de basalte cuit à 1 000°.
Les quatre sculptures présentées étaient dans le jardin de la famille du sculpteur à Aix et ont été prêtées pour la saison. Elles ne sont pas des monoblocs mais comportent une cinquantaine de pièces de 10 à 15 kilos chacune. Chaque sculpture représente un long travail d’assemblage car l’artiste n’a pas laissé de notice pour les monter, seulement des numéros sur chacune d’entre elles.
Jeu avec l’échelle, maquettes de murailles ruiniformes, décors utopiques (falaise de Bandiagara, Pétra le troglodyte, où L’île des Morts) ? Chacun y voit ce qu’il veut. Restent les incroyables détails et reliefs avec lesquels la lumière joue.
« C’est l’œuvre d’un architecte autodidacte, sorte de Facteur Cheval, qui a si bien conçu maquette qu’elle pourrait être agrandie aux dimensions d’une véritable falaise. » nous dit le joli catalogue qui comme chaque année est édité à l’occasion des expositions.
Vous pourrez aussi découvrir les installations permanentes installées au fil des années. L’Eté de la forêt de François Stahly (et deux nouvelles œuvres de celui-ci) déjà évoqué les années passés ici, les Terres Baroques de Gérard Traquandi là et le parcours de sculptures : les tôles pliées de Pierre Tual, la claustra d’Héloïse Bariol, les cabanes perchées et l’œil du chat de Marjolaine Degremont, etc.)
Le Petit Plus : Dans le cabanon Cameroun de Jean Prouvé, s’est installé pour la première fois une buvette qui permet de se ressourcer et de faire une pause durant la découverte du parcours d’architecture et des nombreuses salles.
Par Eric Foucher / texte et photos