Léo Peralta est un argentin de Mendoza, une ville du Nord-Ouest de l’Argentine dont on connaît davantage les malbecs et autres vins rouges que les créateurs de mode. Sa vie est un roman fait des chapitres qui s’enchaînent de Mendoza à New-York et de Barcelone jusqu’à Marseille. De fils en aiguille, il nous a raconté son histoire.
Le type est fou, mais de cette folie dont on rêve tous et qui permet d’être soi-même en toutes circonstances. Chez lui, cela signifie marier un bas de jogging avec des low boots vernis sans avoir l’air ridicule, être un homme et pouvoir se rendre en soirée maquillé comme un camion volé. Ce ne serait pas lui faire injure que de dire qu’il nous fait penser aux personnages d’un célèbre réalisateur espagnol. Ne pas croire pour autant que cette liberté soit facile à vivre. Etre Léo Peralta, ni gamin ni papa, est un combat au quotidien entre petits doutes et grands bonheurs. A trente-six ans passés, il a toujours cru en sa bonne étoile. Et il a bien raison car à la vue de son talent nous n’avons aussi aucun doute sur le fait qu’il va aussi briller à Marseille.
Comment fait-on pour se lancer dans la mode quand on vient de Mendoza ?
Il n’y avait effectivement pas d’école de mode là-bas à cette époque là. Je ne me trouvais pas assez mûr à 17 ans pour bouger à Buenos aires alors je me suis inscrit aux Beaux-arts tout en commençant un peu le travail textile. Notre école étant voisine de celle de théâtre, j’ai commencé à gagner ma vie en confectionnant de costumes. J’ai réalisé que j’aimais beaucoup ça, alors j’ai continué d’apprendre en autodidacte.
Tu as fait de cette difficulté une force …
Oui j’aimais beaucoup la peinture la sculpture et l’histoire de l’art. J’avais l’impression que ces disciplines me permettaient d’avoir un regard différent sur la mode.
Quand as-tu décidé d’en faire vraiment ton métier ?
Durant mes études, je suis parti à New-York pour réaliser plusieurs stages. Le premier dans le département de design mode d’une grande compagnie au centre de Manhattan où je me suis pris à rêver d’une carrière dans la mode. Le second dans l’atelier beaucoup plus petit d’une jeune styliste avec qui j’ai appris tous les rudiments du métiers (dessin, coupe, patronage, couture, envois produits aux clients, etc.). A mon retour à Mendoza en 2009, j’ai décidé de réaliser ma première collection.
Comment était ton quotidien là-bas ?
Mon premier atelier se situait dans le salon de mes grands-parents. C’était une grande bâtisse des années 50 où tous mes amis passaient pour travailler, faire des photos et surtout la fête.
Comment as-tu réussi à te faire connaître ?
Il y a un côté village à Mendoza. Ce n’est pas comme Buenos Aires qui est tentaculaire. Il n’y avait pas vraiment de scène mode, seulement quelques bons ateliers de coutures. J’ai eu assez rapidement une reconnaissance par rapport à mon travail. Cela m’a beaucoup aidé à prendre confiance et étudier
Comment s‘est passé ton apprentissage de la mode ?
Comme je n’ai jamais fait d’études mode, j’ai appris à travers chaque projet : comment se fait cette pièce, comment la construire. Ma grand-mère, ma mère et des couturières me filaient aussi quelques conseils. J’apprenais par l’erreur, j’achetais des vêtements que je démontais pour percer les secrets de leur patronage. Même après toutes ces années c’est toujours ma façon d’apprendre.
Il t’a néanmoins fallu sortir de ta zone de confort pour passer un cap ?
Oui je suis allé présenter une collection à la Fashion Week de Buenos aires et j’ai eu mes premiers articles puis une invitation pour aller en Colombie. A travers une amie qui partageait son temps entre la Catalogne et l’Argentine, j’ai ensuite décidé me rendre à Barcelone. J’avais déjà 29 ans et je ne connaissais pas l’Europe. C’était le moment où jamais. J’ai pris une grosse valise. J’ai mis juste quelques vêtements pour moi et rempli le reste avec mes anciennes collections en me disant que je ne rentrerai pas tant que je ne les aurai pas vendus.
Barcelone a-t-elle répondu à toute tes attentes ?
Oui et bien au-delà-même. J’ai connu des gens magnifiques, des artistes avec lesquels on créait et on faisait beaucoup la fête. Beaucoup de bonnes énergies et d’envie de partager. Un mois après mon arrivée, je faisais mon premier costume pour le tapis rouge d’un acteur. Ensuite on m’a invité à présenter ma nouvelle collection à Saint Jacques de Compostelle. Je démarchais avec mon petit portant de vêtements et je rencontrais beaucoup de gens intéressants, si bien qu’au bout de trois mois je n’avais aucune envie de rentrer.
Tu ne tires pas de plans sur la comète car tu crois beaucoup au destin et aux rencontres ?
Oui les choses se sont toujours enchaînés par des rencontres. A Barcelone, j’ai rencontré ainsi un marseillais…
Raconte-nous justement ton premier séjour à Marseille ?
C’était en 2013. Comme je n’aimais pas le foot je ne connaissais rien de Marseille (rires) La ville m’a fait penser à Valparaiso au Chili avec ces collines qui descendaient vers la mer. Un port, très chaotique, énormément de graffiti, une ville très sale et des gens qui n’ont rien à foutre de rien (rires). Et curieusement j’ai bien aimé, mais j’ai continué ma vie à Barcelone en faisant des allers-retours régulièrement.
La vie n’a pour autant pas été un long fleuve tranquille…
Un moment un peu tragique de ma vie m’a traumatisé. Lors d’un voyage de Barcelone à Perpignan, j’ai été arrêté par la police des frontières pour faute de visa et j’ai été envoyé en centre de rétention pour migrants. Je pensais que cela durerait un jour ou deux mais le séjour a duré une semaine avant qu’on ne me renvoie par avion en Argentine. C’était assez violent. Mes papiers n’étaient effectivement plus en règle mais je n’avais commis aucun délit de droits communs. J’avais aussi commencé le processus pour avoir le droit d’être résident. C’est un épisode qui va me transformer à jamais. Pour la première fois en Europe, j’ai ressenti le poids de ma couleur de peau.
Comment as-tu réussi à surmonter cette épreuve ?
Des amis m’ont conseillé de prendre ce moment comme un film, de ne pas en faire un épisode dramatique. J’ai décidé de suivre leur avis et j’ai fini par faire des portraits des autres codétenus. A la fin, je me suis fait des amis. Ils faisaient la queue pour que je les dessine. Ça en devenait drôle. J’en arrivais à échanger les dessins contre des cigarettes. Je découvrais les codes d’une prison (rires)
Le vol pour l’argentine symbolisait un retour à la case départ ?
Oui le film était terminé et il fallait que j’atterrisse. J’ai connu une bonne dépression. Ce n’était pas du tout dans mes plans et j’avais l’impression de revenir la queue entre les jambes comme on dit.
Comment as-tu rebondi ?
Là encore c’est le destin. Des démarches entrepris par des membres de ma famille pour avoir la nationalité italienne (ndlr: son arrière-grand-père avait émigré au début du siècle) ont fini par aboutir, contre toutes attentes. Muni de mon passeport italien, j’ai pu enfin revenir en Espagne dont j’avais été expulsé à l’été 2014. Un été incroyable comme une revanche sur le sort ! La fêtes tous les jours, des défilés, des shootings, etc.
Comment est-on passé à l’épisode marseillais ?
Je faisais des allers-retours entre Marseille et Barcelone pour retrouver mon compagnon. Je commençais à aimer beaucoup la ville mais il fallait que j’apprennent le français pour trouver un boulot. Je commençais à vieillir et la vie de bohème que j’avais eu à Barcelone avait eu son temps. Tout était trop compliqué administrativement là-bas. J’ai eu une proposition de travail dans un atelier de couture à Marseille (Treize A’tipik) et j’ai pris ma chance. C’était une expérience géniale dans un atelier d’insertion. Je ne parlais pas français. J’étais très content d’avoir un travail fixe pour apprendre la langue. Au départ j’étais couturier comme les autres. La seconde année, la responsable m’a demandé de devenir le chef de l’atelier. C’était un challenge mais je savais dorénavant communiquer et donc ce fût une super expérience.
Tu as découvert l’entraide, le recyclage et tout ce qui semble évident maintenant dans l’économie de la mode…
Oui et durant cette période un voyage à Madagascar m’a beaucoup marqué. J’y suis allé pour aider l’association Yamuna qui travaille à la réinsertion des femmes à la rue. J’ai découvert l’économie de moyens et ce que les malgaches étaient capables de faire avec presque rien. Les machines étaient plus vieilles que les gens et je ne sais pas comment ils arrivaient à les faire encore marcher. Cette débrouille m’a rappelé l’Amérique du sud. Ici en Europe, on s’habitue à beaucoup de confort et de facilité. Un petit truc casse et c’est la panique. Tout est arrêté.
Quel regard portes-tu sur la scène mode à Marseille ?
Par moment, je me suis posé la question de savoir ce que je faisais ici car il y avait beaucoup plus d’énergies créatrices à Barcelone. Il y a énormément d’ateliers d’artistes mais combien de designers mode ? Mais Marseille était très inspirante et j’ai commencé à rencontrer beaucoup de gens dans l’art avec qui j’ai commencé à collaborer.
Comment définirais-tu ton esthétique ?
Sans le savoir, j’ai toujours été attiré par le kitsch, le laid, l’ingrat. Car quel est le baromètre de la beauté ? J’ai toujours cette phrase : « ça c’est très moche, j’adore ! »
Tu t’inspires aussi beaucoup des traditions et coutumes des villes dans lesquelles tu vis pour tes pièces (ndlr : sa collection Burning Heart s’inspirait des croyances païennes d’Argentine) ?
Oui j’ai toujours aimé les folklores. Ici je me suis bien sûr penché sur le provençal : la matelassé, les tissus, santons, etc.
Tu te mets souvent en scène dans des tenues assez extravagantes (Pantalon matelassé, fausses fourrures, guipure etc.). Est-ce facile d’assumer de tels looks aujourd’hui à Marseille ?
Un peu moins facile qu’à Barcelone, mais c’est l’histoire de ma vie. J’ai toujours été emmerdé par des personnes cis genres binaires donc j’ai l’habitude, je n’y prêtre pas attention.
On est aussi au-delà du vêtement et dans la revendication d’une sexualité queer …
Assumer cette apparence et cette sexualité c’est comme un choix politique qu’il faut porter haut et fort. Je ne veux pas me cacher. Je crois que je fais partie de ces personnes qui sont là pour ouvrir des portes pour d’autres, éveiller les esprits et faire accepter la différence. Ce n’est jamais facile, même avec sa propre famille, mais petit à petit on change les habitudes. Car finalement on parle juste de tolérance, de liberté d’être qui on a envie d’être.
Des collaborations avec d’autres créateurs de mode ?
La plus importante et sur la durée fût avec le créateur le créateur Thomas Sesoldi, la personne qui m’a fait découvrir Marseille. Mais davantage de rencontres avec des artistes comme le collectif Lova Lova qui brouille les genres dans ses images entre France et Guyane. Avec le duo du Karaoké Sing or Die (la première soirée que j’ai fait quand je suis arrivé à Marseille moi qui adore chanter !) qui a présenté mon défilé à un peu dingue à la Déviation, une friche culturelle de L’Estaque. Pas mal de petites performances avec PailleteS aussi (ndlr : un collectif d’artistes qui proposent des soirées libertaires hors des cadres habituels. Plus dernièrement avec des artistes (Vincent Naba et Dasha Chertanova) qui ont peint sur des tissus en néoprène, l’un peignant des motifs abstraits et organiques, l’autre des scènes érotiques. J’ai assemblé ces pièces tel un puzzle pour constituer notre collection capsule qui a été présentée à Lille.
Être en marge te correspond finalement mieux, non ?
Quand j’ai démarré, je voulais vraiment faire partie du grand cirque de la mode. Mais très vite, je me suis rendu compte que cela ne me correspondait pas. Il y avait toujours un combat intérieur entre mes aspirations créatrices et l’aspect commercial m’était étranger. Bien sûr, on a besoin d’argent pour vivre mais il y a tout un pan de la mode qui ne me correspond pas, alors j’ai arrêté de me forcer. J’ai eu la chance tout au long de ma carrière que le bouche-à-oreilles fonctionne et pouvoir rester un outsider. Quelques commandes de clients (robes de marié, de soirées, tenues pour le théâtre) me permettent de vivre.
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Je travaille plusieurs micro-collections (des collections capsules avec des artistes) et en parallèle des accessoires plus faciles à vendre (comme mes petits sacs bananes qu’on me demande beaucoup). L’une d’elle est la poursuite de ces « Body bombers », des patchwork streetwear inspirés des couleurs du drapeau Mapuche (ndlr: un peuple indigène argentin et chilien qu’on a spolié de ses terres ancestrales et dont il tire ses racines). Ça me touche beaucoup ce sujet.
Unisexe, écoresponsable et upcycling sont vraiment les notions majeures qui définissent tes créations
Oui lors d’une récente performance, j’ai découpé complètement mes vêtements pour faire d’autres accessoires (sacs) avec cette idée que la mode peut-être un éternellement recommencement sans forcément produire de nouvelle matière. Lors du premier confinement, j’ai eu l’idée de créer un bustier matelasse à motif toile de Jouy à partir d’un ancien rideau qu’un ami m’avait donné. L’idée m’a plu alors j’ai décidé d’en sortir une petite collection pour ce printemps.
Des projets qui te tiennent à cœur ?
Lors d’un dossier présenté pour obtenir un atelier de la ville de Marseille avec Thomas Sesoldi, on a commencé à réfléchir à une collection de vêtements réalisés à partir de collecte dans les poubelles. J’ai aussi un projet qui me tient à cœur baptisé « Le tapis rouge des Quartiers Nord » que j’espère un jour pouvoir réaliser.
Propos recueillis par Eric Foucher